Euridice Zaituna Kala, « Daylighting : mais c'est l'eau qui parle » - Ressources pédagogiques

Biographie

Euridice Zaituna Kala est une artiste née en 1987 à Maputo au Mozambique, qui vit et travaille aujourd'hui à Maisons-Alfort, en région parisienne. Elle est diplômée en photographie expérimentale à la Market Photo Workshop de Johannesburg en 2012.

« Mon travail d’artiste visuel se concentre sur la recherche et la mise en évidence de la multiplicité des récits au sein de périodes historiques, révélant les opacités de l’Histoire – je propose des œuvres qui ouvrent un autre point de vue sur le récit historique, dans la continuité de l’idée de Senghor de retrouver et bâtir « le royaume de l’enfance ». Mon travail, axé sur les métamorphoses, les manipulations et les adaptations de l’histoire, prend la forme d’installations, de performances, d’images, d’objets et de livres. * »

En 2017, Euridice Zaituna Kala fonde et co-organise le laboratoire et plateforme de recherche artistique e.a.s.t (Ephemeral Archival Station). Elle enseigne depuis 2022 à l'école des beaux-arts de Nantes et participe depuis 2024 au comité éditorial de la Revue Festina Lente de La Criée centre d'art contemporain. 

Elle a mené plusieurs résidences de recherche (en 2023 à la Villa Albertine à New York et à la Villa Médicis à Rome) et a été lauréate de la bourse Villa Vassilieff/ ADAGP (2019). Elle a exposé les fruits de ses recherches lors d'expositions personnelles : Je suis l'archive, I the archive à la Villa Vassilief, Paris (2020) et En quelques gestes : as if two suns were setting, à la galerie Anne Barrault, Paris (2024). Euridice Zaituna Kala y développe une réflexion sur l'architecture dans la ville et la question du paysage urbain ultra exploité par l'homme face à la nature environnante. Ses œuvres mettaient en lumière la relation entre l'architecture de la ville de New York et son lien intrinsèque avec l'eau « pour rendre visible le rapport de domination résultant de l'histoire coloniale et faire apparaître le concept de ville liquide ** ». 

Euridice Zaituna Kala a aussi participé à de nombreuses expositions collectives, comme par exemple lors de la 5ème édition de la Biennale de Casablanca (2022-2023) ou Passengers in Transit, Ex Farmacia Solveni, à la Biennale de Venise (2024). 

La Vilaine, ses jardins flottants et plantes sauvages

Pour son exposition Dayligthing : mais c'est l'eau qui parle, Euridice Zaituna Kala a mené des recherches autour de la Vilaine, des jardins flottants à Rennes et a rencontré la pépiniériste Thao Ngo qui protège les plantes locales sauvages pour préserver la biodiversité.

La Vilaine est un fleuve côtier de 218 kms traversant la ville de Rennes. Sa confluence avec la rivière de l'Ille dans la ville de Rennes a donné le nom du département de l'Ille-et-Vilaine. Sous l'empire romain, Rennes portait le nom gaulois de Condate qui signifiait confluence. L'histoire de la ville est ainsi intrinsèquement liée à celle de son fleuve.

Euridice Zaituna Kala a fait le parallèle entre ces recherches à Rennes et celles menées lors de sa résidence à New York en 2023. Là-bas, elle a participé à des initiatives environnementales avec des associations locales, telles Guardians of Flushing Bay, qui abordent les questions d'urbanisme climatique. Elle y a découvert le Dayligthing qui propose la révélation systémique des sources d'eau pour créer une barrière résiliente et protectrice, faire revenir un écosystème durable des espaces publics partagés ; un paysage qui réconcilie le rapport ville, nature et architecture. Les sites recouverts sont souvent fragilisés, entraînant des débordements d'égouts dans l'océan, des décharges de produits chimiques dans les réseaux d'eau potable et la déformation des sols devenus perméables.

Le terme Daylighting (a river) évoque ainsi l’excavation d’un fleuve recouvert auparavant par des infrastructures urbaines. C'est le cas à Rennes, qui prévoit de rendre la Vilaine à la lumière du jour place de la République d’ici 2030.

La Vilaine a longtemps été mal-aimée des rennais, jugée vilaine du fait de ses eaux limoneuses et de sa malpropreté, liée notamment à l'activité des tanneries. Plusieurs interventions urbanistiques ont été menées visant à la domestiquer afin de la rendre navigable, atténuer ses crues et embellir son cours. Afin d'éviter les inondations dans le centre-ville, différents aménagements hydrauliques et des nouveaux quais ont été réalisés au 19e siècle. Le fleuve a été canalisé puis occulté comme d'autres ruisseaux. La Vilaine a été partiellement recouverte en deux temps, en 1912-1913, puis en 1963-65.

En mai 2017, à l'initiative d'une habitante soutenue par le budget participatif, des jardins flottants ont été inaugurés sur la Vilaine entre République et la passerelle Saint-Germain. Il s'agit d'installations flottantes où poussent des plantes terrestres et aquatiques qui offrent des avantages écologiques, tels que la purification de l'eau, la protection des berges et la création d'habitats pour la faune. Ces jardins ont été installés sur 650 m2, divisés en quatre sections, et sont gérés par le service des Jardins et de la Biodiversité de la Ville de Rennes. Au fil du temps, les écosystèmes ont résisté aux différentes crues. Vingt-quatre espèces végétales ont été plantées dans les espaces modulaires, dont la forme rappelle les anciens méandres de la Vilaine. Des lentilles Fresnel ont été installées comme sources de lumière : le jour, elles créent scintillent avec le soleil et la nuit, la partie basse renvoie indirectement la lumière sur l'eau et les végétaux.

La protection des berges et de la biodiversité est également au cœur de la démarche de Thao Ngo, spécialisée dans les plantes sauvages du Grand Ouest. Elle a travaillé notamment au repeuplement en herbes sauvages de la baie du mont Saint-Michel après les travaux du barrage, à la stabilisation des talus et des berges de la ligne à grande vitesse Paris-Rennes et à la dépollution des sols et de l'eau de grandes sociétés rennaises. Avec Floridée'o, sa pépinière à Bruz, elle mène un travail de transmission des savoirs autour des plantes sauvages et a partagé quelques graines avec Euridice Zaituna Kala, qui sont exposées dans des verres soufflés à La Criée.

Les Lenapes

Dans son exposition à La Criée, Euridice Zaituna Kala fait référence dans plusieurs de ses œuvres aux Lenapes, un peuple autochtone qui vivait sur les terres de New York, avant sa construction par les colons européens (Mocassins, Nike, Lenapes et Groundings, revelations II, Lenapes). Longtemps oubliés de l'histoire de la ville, ils ont pourtant marqué sa toponymie.

Les Lenapes, appelés aussi Loups par les Français au temps de la Nouvelle-France et Delawares par les Britanniques, sont un peuple amérindien organisé en clans, originaire de la rive du fleuve Delaware, de l'Hudson et du Long Island Sound. Le peuple avait trois branches : les Munsee, les Unami et les Unalachtigo.

À l'époque de l'arrivée des premiers colons européens, les Lenapes vivaient déjà depuis longtemps dans un lieu qu'ils avaient nommé Manhatta, « île vallonée », cette terre verdoyante située sur les rives de l'Hudson. Ils parlaient un dialecte algonquien et commerçaient avec une multitude de peuples amérindiens. Ils étaient chasseurs-cueilleurs et menaient une existence saisonnière sur cette île aux ressources naturelles foisonnantes et à la faune abondante.

Lorsque les Hollandais arrivèrent au 17e siècle sur les terres des Lenapes, les rencontres furent au début, pour la plupart, amicales selon les documents historiques. Ils partageaient les terres et échangeaient des armes, des perles et de la laine contre des fourrures de castor. Selon la légende, les Hollandais auraient même « acheté » l’île de Manhatta aux Lenapes en 1626 pour un coffre de perles et 24 dollars. La transaction, renforcée par la construction d’un mur autour de New Amsterdam, marqua le tout début de la migration forcée des Lenapes hors de leur terre natale.

Le mur, qui a commencé à apparaître sur les cartes dans les années 1660, a été construit pour tenir à l’écart les Amérindiens et les Britanniques. Il est finalement devenu Wall Street, et Manahatta est devenu Manhattan, où une partie de la route commerciale des Lenapes, connue sous le nom de Wickquasgeck, est devenue Brede weg, puis Broadway. Les Lenapes ont contribué à façonner la géographie de la ville de New York d’aujourd’hui, mais d’autres traces de leur héritage ont presque disparu. Dans l’une des villes les plus diversifiées des États-Unis, les peuples autochtones de New York sont très peu nombreux.

La plupart des descendants Lenapes vivent aujourd'hui en Oklahoma.

Longtemps oubliés de l'histoire, certains Lenapes s'efforcent aujourd'hui de réintégrer leur patrimoine dans la ville. En 2021, le Metropolitan museum of Art (Met) a installé une plaque à la mémoire des Amérindiens lenapes. Fixée sur la façade du musée du côté de la Cinquième Avenue, la plaque en bronze rend hommage aux premiers habitants de la région et à leurs descendants. « Le Metropolitan Museum of Art est situé à Lenapehoking, patrie de la diaspora lenape, et un lieu de rassemblement et de commerce historique pour de nombreux peuples autochtones qui continuent à vivre et à travailler sur cette île, évoque l'inscription de la plaque commémorative. Nous reconnaissons et honorons respectueusement toutes les communautés indigènes - passées, présentes et futures - pour leurs relations permanentes et fondamentales avec la région ».

Le Crystal Palace

Dans l'exposition à La Criée, Euridice Zaituna Kala présente une nouvelle production intitulée Ailes, Serre, Palace. Composée de cinquante-deux tuiles de verre suspendues à des pièces en métal, cette œuvre aborde le rapport entre l'image en deux dimensions, la sculpture et l'architecture. Son titre fait référence au Crystal Palace, qui fut construit pour la première fois en 1851 pour la première Exposition Universelle à Londres.

Dessiné par Joseph Paxton, un architecte et paysagiste britannique, le bâtiment est composé de près de 60 000 panneaux de verre plat et d'une complexe structure en fer. Réputé pour ses serres botaniques, Paxton a imaginé une architecture qui a marqué la révolution industrielle. Le palais de 124 x 563 mètres a été construit en six mois, avec un assemblage novateur d'éléments préfabriqués en série, et montés sur le chantier même.

Considéré comme une prouesse d'innovation technologique, il avait vocation à présenter les travaux de l'industrie de toutes les nations, les objets d'art et tous les biens transportables des différentes colonies. Pour l'artiste Euridice Zaituna Kala, le Crystal Palace introduit une question qui traverse l'ensemble de l'histoire de l'art : de quelle façon ces expositions universelles ont influé sur les représentations de l'altérité (qu'il s'agisse de la faune, de la flore ou des peuples colonisés) ? Symbole d'un monde nouveau et progressiste, il amorce également le développement des architectures en verre dans les métropoles urbaines.

Le Crystal Palace a accueilli 6 millions de personnes en visite avant d'être démonté puis remonté en 1852, plus grand et plus imposant, dans le parc public de Sydenham Hill, au sud de la ville. Malgré des systèmes d'irrigations prévus à cet effet, le Cristal Palace fut détruit par le feu en 1936.

Les sources de l'œuvre « Louise Kuling, Pourquoi naître esclave »

L'une des œuvres d'Euridice Zaituna Kala exposée à La Criée a pour titre Louise Kuling_Why be born a slave. Il s'agit d'un transfert sur verre d'une image en négatif réalisée « d'après le buste La Négresse de Jean-Baptiste Carpeaux » . Cette sculpture fait partie d'une série de bustes réalisés entre 1868 et 1870, dans le cadre d'une étude préparatoire pour la fontaine de l'Oratoire, commandée par la Ville de Paris. Carpeaux a répondu au thème imposé des quatre points cardinaux en proposant quatre figures allégoriques représentant les quatre continents : l'Amérique (sous les traits d'une amérindienne), l'Afrique (représentée par une femme noire esclave), l'Asie (sous les traits d'une chinoise) et l'Europe (représentée par une europoïde). Ensemble, elles forment un groupe soutenant la sphère céleste.

Des reproductions du buste La Négresse de Jean-Baptiste Carpeaux sont visibles au Metropolitan Museum (où Euridice Zaituna Kala l'a découvert) et au musée d'Orsay. Celles-ci, datant de 1875, portent la mention « Pourquoi naître esclave ? » sur le piédouche.

Ces bustes, réalisés à partir du même modèle, représentent celui d'une esclave, le corps entravé par des liens et la poitrine dénudée.  Dans le groupe sculpté pour la fontaine de l'Oratoire, l'Afrique porte à la cheville une chaîne brisée, qui n'est pas tout à fait libre puisque l'Amérique a le pied dessus. Cette œuvre, réalisée quelques années après la guerre de Sécession aux États-Unis évoque le mouvement abolitionniste alors encore inachevé dans le monde.

Des historiens de l'art ont vu de similitudes avec le buste La femme des colonies de Charles Henri Joseph Cordier (titré à l'origine La câpresse ou la négresse des colonies) datant de 1861. Le sculpteur aurait pris pour modèle Louise Kuling, dont le portrait fait partie du Fonds d'archives de la Société d'anthropologie de Paris. Conservé au Museum national d'histoire naturelle, il a rejoint depuis les collections du musée du Quai Branly. La légende sur la photo donne peu d'éléments sur son identité : « Louise Kuling, 35 ans. Née à Norfolk, Etat de Virginie (Amérique) de parents vivant au Congo. Amenée en France par M. Le Commandant Louvet [portrait face/profil] ». La prise de vue, nommée à l'origine _ « Négresse née à Norfolk » date de 1864, la même année où Charles Cordier fut nommé sculpteur ethnographique au Museum national d'histoire naturelle.

Pour Euridice Zaituna Kala, ces œuvres témoignent à la fois des manques dans les archives, des remaniements de l'histoire, mais aussi de la pertinence des projections fantasmées et dominantes des occidentaux sur les corps noirs, bien après l'abolition de l'esclavage en France en 1848.

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