« L’acte artistique de Marika Bührmann consiste à engager avec un groupe d’individus et de citoyens un important travail qui se situe à mi-chemin entre le témoignage vivant et un imaginaire indispensable à la vie individuelle et collective. A l’opposé d’un travail d’art documentaire, la démarche artistique de Marika Bührmann est également très éloignée d’une prétention à assumer le rôle d’assistant social ou de psychologue.
En effet, l’acte créateur réside dans la capacité de l’artiste à provoquer chez l’autre, du moins chez celui ou celle qui se rend disponible, des ouvertures, des troubles ou des déplacements vers des espaces de l’infiniment intime et de l’infiniment collectif. Marika Bührmann invite à repousser des résistances personnelles, culturelles ou sociales que l’on croit infranchissables ou inébranlables. Et ce sont les individus eux-mêmes qui sont porteurs et créateurs de ce potentiel. En d’autres termes, le sujet-citoyen se construit à partir de ce pouvoir de création, d’imagination et d’intervention permanente sur sa propre vie et son environnement. Il n’est pas uniquement un sujet vivant au sein d’une communauté, mais il est pleinement acteur d’espaces de liberté. Il serait donc erroné de déclarer que l’artiste ne fait que se servir d’un contexte de vie et ne fait que replonger les habitants dans leur dure réalité. Pour le dire de manière un peu plus provocatrice, l’enjeu est d’instaurer une forme de contre-pouvoir à des absences ou à des gestions permettant les processus de socialisation. D’autre part, chez Marika Bührmann, les processus de socialisation sont indissociables d’une approche profonde à l’écoute de soi, de l’autre. Celle-ci permet d’activer des paroles, des gestes qui, en apparence, peuvent sembler simples et anodins au regard d’une médiation sociale qui prétend à des effets immédiatement productifs au sein de l’espace social. C’est dans l’écoute du corps et de la parole de soi et de l’autre que résident bien souvent les réponses aux plus grands maux de notre société. Il s’agit donc d’insuffler un partage de l’intime au sein d’un espace public qui, par définition, est sensé favoriser la circulation fonctionnelle plutôt que l’habitation, les formes collectives de sociabilité plutôt que la relation intersubjective. Au contraire, Marika Bührmann trace des trajectoires possibles de l’intime par des gestes minimes, des silences créateurs de mémoires et de paroles. »
Larys Frogier, « Marika Bührmann », in ’Cerise, François, Jean-Pierre, Karima et Monique vous invitent…’, Bourges : Galerie du Haïdouc, 2003