Mahchar

Farid Redouani

Farid Redouani, Mahchar, vue de l'exposition Ouvertures algériennes, créations vivantes, La Criée centre d'art contemporain, Rennes, 2003, photo : Benoit Mauras

Mahchar n°1, huile sur bois 50 x 300 cm
Mahchar n°2, huile sur bois, 50 x 200 cm

« Concomitant de ses tableaux étroits et verticaux, Redouani crée également des peintures sur bois, tout aussi allongées mais cette fois exposées à l’horizontale. Ici, ce n’est plus le corps dans son entier qui est figuré, mais c’est un alignement répétitif de visages semblables qui investissent tout l’espace du tableau. L’étroitesse de ce dernier ne dépend plus tant du format que de la compression des visages les uns contre les autres. Plus ou moins dense, la disposition des visages variera d’un tableau à un autre, laissant l’impression d’une suffocation extrême ou d’une respiration minimale.

Dans la peinture de Redouani, le visage livide n’a rien d’une expressivité torturée comme on peut la trouver dans l’œuvre Le Cri d’Edward Munch, où la bouche du visage extériorise la peur qui déborde littéralement du tableau. Ici, tout est contenu dans une angoisse latente et un silence insupportable. » Dans le Coran, « Al Mahchar » désigne la Plaine du Rassemblement de l’Humanité le Jour du Jugement Dernier.

« Pour mieux appréhender l’importance du visage dans les œuvres de Redouani, il faut en fait se tourner vers les portraits du peintre kabyle M’Hamed Issiakhem (1928-1985), grand ami de l’écrivain Kateb Yacine. En effet, Issiakhem a peint des visages dont la puissance esthétique ne réside pas dans l’expressionnisme pathétique ou la ressemblance réaliste. Sans identités particulières, les visages fins et émaciés d’Issiakhem renferment une énergie latente souvent mêlée de tristesse. Il y a cette même puissance d’une humilité du visage chez Redouani. Toutefois, si Issiakhem réalisait bel et bien des portraits de lui-même et d’autres individus – ses proches ou des personnalités -, il est impossible de qualifier les visages de Redouani de portraits. Ce sont des visages sans qualités particulières si ce n’est l’universalité de l’intériorité et de la mélancolie. D’autre part, la technique picturale d’Issiakhem usait beaucoup des effets de la matière picturale, tandis que celle de Redouani est rétive à une matérialité qui délivrerait déjà trop d’énergie vivante aux visages. »

Larys Frogier, « Peindre vivre peindre », in Ouvertures algériennes, créations vivantes, catalogue de l’exposition, Rennes : La Criée, centre d’art contemporain, 2003

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