Le visiteur est invité à se plonger et s’abandonner dans un monde onirique et troublant.
L’installation se compose de six vidéoprojections enchâssées dans des cadres noirs, d’un faux plafond en plexiglas qui irradie l’espace d’une lumière rouge, et dans lequel est diffusé une bande sonore en boucles de trente secondes d’un aria interprété par Cécilia Bartoli. Sur les murs deux séquences d’images se succédaient : un homme et une femme apparaissant simultanément sur des écrans différents, et de longs travellings avant sur des voies de chemins de fer. Les jeux de répétitions, de déplacements et de décalages des images, le ralenti, la musique lancinante, venaient perturber l’espace et induisaient une perte de repères par une distorsion du temps et de l’espace.
« J’ai inventé tout cela dans l’espoir que cela me consolerait, m’aiderait à poursuivre, me permettrait de me considérer comme un voyageur à un point de sa route, entre un début et une fin, gagnant du terrain, se perdant, mais finissant tant bien que mal, à la longue, par avancer. Mensonges que tout cela. » Samuel Beckett
Sans début, ni fin, A Spider. A Spider Is Running Across My Heart And Then Another. Spiders Run Across My Heart And If I Close My Eyes, I Can Hear The Rush And The Rustle Of Their Tiny Dry Bodies Scurrying Through Me demeure une histoire à construire, une succession de scènes dont le fil conducteur se tisse dans le hors-cadre. L’espace noir entre les écrans constitue le champ des possibles, espace vide dans lequel la pensée retrouve sa liberté d’intervention. À l’inverse, à l’intérieur des écrans les personnages sont enfermés, tournent en rond, évoluent dans des allers et venues incessants mais ne se rencontrent jamais, les trains ne mènent nulle part. Tous ces éléments font que l’on ait souvent relié le travail d’Ugo Rondinone à l’œuvre de Samuel Beckett. En effet, l’errance, la vacuité, le banal, le temps humain, la solitude, la présence des personnages dans l’espace sont des thèmes récurrents chez l’auteur. Une des spécificités du travail d’Ugo Rondinone tient en la répétition et la réinterprétation de ses œuvres, puisqu’une même série de vidéos peut être présentée soit sous la forme de vidéoprojections dans un environnement spécifique, soit intégrer une installation avec des moniteurs (Roundelay, 2003 et Clockwork for Oracles, 2004). Cette caractéristique révèle la place qu’il accorde au spectateur, à sa perception de l’espace et de l’image selon le dispositif mis en place. A Spider… s’articule autour de la construction d’un espace scénique (rappelant la salle de théâtre, d’opéra, ou de cinéma), mais dans lequel le spectateur-voyageur se retrouve immergé.
Alexandra Gillet