comédie musicale composée de cinq vidéos (Clavier, Sento, Marcheurs, Sans titre et Oiseau) et de performances (mouvement 1, 2 et 3)

Chez Jean-Baptiste Bruant, un des usages de la performance consiste à filmer des actions dont le son et les images sont retravaillés. Mais ces vidéos sont en plus projetées au sein d’un environnement où intervient une nouvelle performance.

Le spectateur auditeur se trouve enveloppé dans un espace distendu entre des images performatives se succédant dans des parties éclatées de l’espace selon différents formats de projection, et qui s’alternent ou se regardent simultanément à une présence réelle du corps de l’artiste pris dans des actes de manipulation minimales. L’espace performatif est également créé au moyen de différentes sources sonores : sons propres à chacune des vidéos, actions sonores effectuée par Maria Spangaro au moyen d’un violon ou de sons numérisés, prises directes microphoniques et vidéographiques de manipulations matérielles effectuées par Jean-Baptiste Bruant.

Il devient ici impossible de décrire une linéarité de la performance, comme il est impossible pour le spectateur de tout voir de celle-ci. Le terme de captation est préférable car il traduit parfaitement les postures du spectateur qui est invité à s’asseoir, s’allonger, se déplacer pour percevoir des fragments d’une performance désormais polymorphe. Je ne peux que citer en vrac des éléments épars qui me restent en mémoire : l’image d’une japonaise lisant à haute voix un texte écrit en français mais dont l’accent rend incompréhensible le récit au profit d’une voix à la musicalité envoûtante et surprenante ; l’artiste frappant le sol au moyen d’une matière molle et malléable ; l’image puissamment silencieuse où l’on voit en gros plans les mains d’un pianiste jouant une partition musicale sur des doigts de pieds d’individus alignés ; l’image en clin d’œil d’hommes au bain pris dans un acte répétitif de soulèvement d’un drap de bain ; l’artiste revêtant des bagues aux prolongements métalliques étonnamment longs terminés par des petits nuages de coton ; le bruit subtil d’oiseaux et de borborygmes ; l’image de personnages marchant dans une piscine et chantonnant un refrain interminable…

Paradoxalement, la multiplicité des propositions visuelles et sonores de la performance évacue le spectateur au profit d’un dépouillement de l’acte du performer et du regardeur. L’enchaînement, le chevauchement, l’alternance des matières corporelles, sonores et visuelles produit une dilatation de l’espace-temps qui transporte chacun dans des recoins inattendus de la perception et du regard. La présence d’une puissance du corps disparaît pour tout simplement rendre disponible le sujet humain à une voix qui n’est plus une prise de pouvoir de la parole, à un corps qui n’est plus une anatomie organisée, à une image qui n’est plus structurée ou cadrée pour raconter à la place de l’autre. Délestages. Circulations. Plissements. Déploiements. La performance chez Jean-Baptiste Bruant relève alors d’un refus absolu d’une maîtrise autoritaire de soi et de l’autre. Et c’est pourtant là, dans cet abandon de soi, qu’intervient l’acte performatif essentiel : le vivre en soi et le vivre avec.

Larys Frogier, « Touche de la bouche », Jean-Baptiste Bruant, édition HYX, Orléan, 2003

co-production avec Love Stream, Paris

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