ingrédients : Matthieu Doze, Simon Hecquet, Sabine Prokhoris
Quelques produits de la nature (?) : riz, bergamotes, crevettes, sel, fraises, poulets, rhubarbe, moules, etc.
Quelques produits de l’art (?) : cinéma, livres, musiques, etc.
Quelques créatures intermédiaires (?) : animaux authentiquement baroques, alambic, gingembre
Quelques soucis contemporains
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Une performance culinaire au CCNRB de Sabine Prokhoris, psychanalyste auteur de l’ouvrage Le Sexe Prescrit, la différence sexuelle en question, avec la participation de Matthieu Doze et Simon Hecquet.
« Cette performance, d’après une idée de Sabine Prokhoris, a été conçue et réalisée conjointement par Matthieu Doze, Simon Hecquet, et Sabine Prokhoris. Il s’agit d’une performance culinaire : non pas seulement au sens où pendant cette performance on ferait de la cuisine, mais au sens où la performance elle-même, telle qu’elle a été imaginée, est le fruit d’une opération qu’on dira culinaire. À savoir que ce qui aurait pu (dû ?) être une conférence sur la question des processus de transformation, sur celle du partage, problématique, des genres et des identités, une conférence supposée nourrir la réflexion des auditeurs, -à charge pour eux d’interpréter, de « digérer », ce qui leur est sous cette forme proposé-, sera devenu, par un détournement -et donc une réinvention- de la recette traditionnelle de la conférence (questions, hypothèses, propositions, tout cela adressé, d’une façon préférablement attrayante et « assaisonnée », à un public convié à écouter et réfléchir à partir de là), une série d’actions faisant jouer, à travers l’expérience que constitue la cuisine, les ingrédients de la conférence possible.
Performance culinaire aussi au sens où la « vraie » cuisine est à son tour cuisinée -détournée-, autrement dit combinée, en vue d’effets désirés mais inanticipables, avec d’autres ingrédients qu’alimentaires au sens littéral.
La donne initiale est la suivante : la cuisine – terme qui en français désigne tant l’activité que le lieu où celle-ci se déroule- est un espace processuel, gouverné par un ensemble, relativement complexe, de règles de transformations. C’est en tout cas cela qui nous intéresse prioritairement dans la conduite de cette performance. Les produits réalisés (les plats) seront envisagés comme des effets plus ou moins excitants de cette série de mutations, effets (plutôt que résultats achevés) à leur tour points de départs d’autres effets : effets de digestion (ou d’indigestion) dans tous les sens du terme, effets de liens entre les participants au repas partagé, effets éventuels d’invention d’autres cuisines. En d’autres termes, l’enjeu de l’activité culinaire, à savoir les « mystères » de la métamorphose, est ce sur quoi et avec quoi travaille la performance. Mystères démystifiés, sauf pourtant quant à l’inassignable identité des effets de cette « magie », magie si quotidienne, à la portée de tous. Tout le monde peut cuisiner, parce que tout le monde rêve. Car rêver, notre activité de chaque nuit -plus ou moins loin de nous-, est l’expérience psychique même, déroutante à plus d’un titre, des processus de transformation / traduction / combinaison / invention-réinvention, par recyclages associatifs : recyclage des traces mémorielles, y compris les plus furtives et les plus fugitives, enclenché par le recyclage des « restes diurnes », ces fragments résiduels d’impressions ou d’événements de la journée écoulée, que le rêveur utilisera comme matériaux -ingrédients tout frais- pour sa cuisine onirique. En somme rêver, ou l’art d’accommoder les restes… Notre fil conducteur pour la performance culinaire est, on l’aura compris celui-ci : l’espace culinaire est un espace de nature onirique ; ou bien, inversement, le processus onirique est la raison de la cuisine. Une raison alambiquée…
Ces remarques permettent d’éclairer la façon dont s’est articulé le déroulement de la performance, collectivement construite (cuisinée).
Collectivement, cela signifie que nous n’étions pas tant trois « chefs » cuisiniers qu’en quelque sorte les premiers ingrédients de la performance. Car une action collective est avant tout une certaine cuisine : le choix, heureux ou moins heureux, de tel ou tel mariage, et quelque fluide (recette à inventer pour chaque configuration) afin de « lier la sauce ».
La performance, que précède un temps de préparation accessible au public, écrit et met en oeuvre tout au long de son déroulement une recette, en d’autres termes une partition, qu’il s’agira, tant pour les performers que pour le public, d’interpréter. Cela au moyen de différents ingrédients proposés par la recette--partition, et que celle-ci combine selon une logique de mariages et d’associations. Ces ingrédients sont : les performers , divers aliments par lesquels ils seront désignés, des gestes pour les accommoder, des tranches de films, des bouts de textes, des morceaux de musiques. Chaque moment de la recette/partition organise ainsi une problématique, qu’il s’agit pour le public d’identifier (comme on cherche à identifier de quoi est fait le goût d’un plat). En même temps qu’au cours d’un moment émerge, grâce à cette cuisine -ce jeu de combinaisons-, une question, se déploie un parcours, qui fait naître le moment suivant, c’est-à-dire une nouvelle question. La conférence comme cuisine, donc, ou la cuisine comme conférence (déguisée).
En même temps, de la « vraie » cuisine, c’est-à-dire la confection d’un plat, a lieu. Mais pour que le plat soit cuisiné, ne faut-il pas se livrer à des opérations du même ordre ? Combiner, associer, pas n’importe comment, afin de parvenir à créer quelque-chose, quelque chose qui amuse, excite l’appétit et la curiosité, voire donne envie de cuisiner à nouveau ? La préparation du repas jouera donc, dans la performance, comme une sorte de discours, discours agi, qui nous parlera de ce qui se passe dans l’ensemble de la performance. Mais ce discours non verbal, ce récit matériel, nous en parlera comme parle un rêve : sur un mode figuré, donc à la fois entièrement visible et déplacé, traductif : par images et actions, très logiquement articulées. Une logique plurielle, cependant ; une logique ouverte.
La Poule enchantée, donc. C’est-à-dire endormie, prête à rêver : à laisser opérer le charme de la cuisine. La performance commence par dire cela, au moyen d’un des premiers ingrédients qu’elle utilisera. Performance qui se termine par une séance de cinéma -du cinéma cuisiné bien entendu- : le rêve est sur grand écran. La performance aura été un rêve partagé. Tout comme l’est, à sa manière, une conférence… Autre genre d’exercice, nous dira-t-on. Mais quoi de plus poreux, de plus mixte, de plus « paëllesque », que ce qu’on appelle le genre ? On dégustera ensuite, à l’état de veille, -une veille qui serait le rêve/la performance continuée par d’autres moyens- les « restes nocturnes », au cours d’une fête où l’on mangera la performance (pas les performers…, le « vrai » plat) ; la performance qui se poursuivra en cuisinant divers ingrédients musicaux. »
Simon Hecquet & Sabine Prokhoris
Pour aller plus loin
Sabine Prokhoris
Artiste