La présence humaine est absente ou alors subtilement suggérée par un corps vu de dos enveloppé dans un manteau, par des lumières d’appartement vues de l’extérieur d’un immeuble. Les prises de vue ont été réalisées dans l’instant qui précède le lever du jour, au moyen d’une pellicule diapositive tungstène destinée à des prises de vue en intérieur et en éclairage artificiel. Ce déplacement de l’usage d’une technique photographique révèle alors des images aux dominantes bleutées renforcées par la magie naturelle du passage de la nuit au jour. Arpenter des espaces naturels et urbains relève de la promenade solitaire et intimiste, dans le secret d’un temps qui n’est pas encore investi par l’effervescence d’une activité humaine. La désertion de l’espace réel et la fragilité formelle de ces images composent un temps et un espace sensibles où tout devient possible en terme d’investissement poétique d’un champ du désir.
Dans l’espace d’exposition, il faut savoir que ces images sont projetées à échelle humaine dans un espace totalement noir qui contraint le spectateur à une certaine proximité physique avec l’écran. Le rythme de défilement s’opère selon une succession alternée d’un plan imagé fixe, et d’un plan noir. Le passage d’un plan noir à une image se fait au moyen d’un fondu enchaîné, tandis que le passage d’une image à un plan noir intervient comme une césure. Cette différence temporelle n’est pourtant pas éprouvée en terme purement chronologique dans l’espace d’exposition. Le plan noir, logiquement plus court, produit l’effet d’une dilatation temporelle équivalente à la durée l’image. Cette dilatation temporelle invite à une disponibilité toute particulière du visiteur pour se laisser aller aux associations d’images entre elles. L’espacement entre deux images n’est pas du rien ou de l’insensé. Il devient un espace de respiration au sein de la série, mais aussi un espace de projection d’images mentales propres à chacun des visiteurs.
Anne Durez propose également une autre déclinaison d’Indifférences sous la forme d’un livre d’artiste. Ici, le plan noir est remplacé par un dispositif de feuilles blanches transparentes insérées entre chaque image. C’est alors l’acte de feuilletage qui importe, insufflant des effets d’opacité et de transparence selon le rythme de lecture du livre : l’image apparaît par transparence au travers de la feuille blanche, l’image est vue directement, l’image est vue à l’envers par transparence une fois la page tournée. »
Larys Frogier extrait du catalogue Échos-Graphies, Rennes : La Criée, 2001, non paginé.