3000 fragments photographiques contrecollés sur un miroir
300 x 400 cm

Le Cercle de confusion, vaste photographie aérienne de la ville de Beyrouth découpée en milliers de fragments disposés sur un miroir de 300×400 cm, permet au visiteur de l’exposition d’emporter avec lui un fragment d’image.

Partant d’une vue unitaire et signifiante de Beyrouth, le temps de l’exposition mettra visuellement et symboliquement à l’épreuve le morcellement puis le démembrement et la disparition de la ville par le spectateur. Celui-ci, en prenant une image, découvre le miroir et laisse se refléter peu à peu sa propre image et l’espace d’exposition. Seul, le fragment ne représente pas grand chose, une abstraction, du grain, de la matière photographique brute. Effet paradoxal de proximité et de distanciation entre ce qui nous est proche et ce qui nous est étranger. Derrière le corps de la ville, le miroir nous renvoie notre propre corps. Impossible de saisir Beyrouth, on en tient jamais qu’un fragment. Beyrouth n’existe pas et nous fait exister individuellement, mettant en péril le rêve d’une communauté qui se révèle évidemment de plus en plus utopique.

Luttant contre le recyclage, la mythification des images étendards, les icônes touristiques, l’héritage orientaliste, l’installation avoue son impuissance à affirmer : « Voilà, ça c’est Beyrouth. » La recherche s’oriente alors vers l’image en possible, en latence, incapable de sortir de la volonté de représenter et de la négation de la représentation elle-même. Chez Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, le médium photographique n’a pas pour fonction de réifier une réalité urbaine ni de véhiculer une carte postale de l’Orient. Il est exploité pour sa fonction de mémoire et de projection, mais aussi pour son potentiel de fragmentation et de dispersion. La mémoire d’un lieu ou d’un visage ne tient jamais dans une image monolithique et globale. Le Cercle de confusion met en œuvre la ruine photographique, affirmant autant la prégnance de quelque chose qui a existé que sa perte irrémédiable. Entre la mise en ruine d’une ville par les ravages de la guerre et la ruine photographique il y a corrélation. Toutefois, l’image photographique, aussi fragmentée soit elle, redonne consistance au désir vital de reconstruction d’une cité, au-delà des projets d’urbanisme souvent démesurés et inhumains.

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Larys Frogier, Espace Vital, catalogue d’exposition, La Criée centre d’art contemporain, Rennes, 2001

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