Molusma

Elvia Teotski

25 septembre
19 décembre 2021

Expositions à La Criée

« Molusma », en grec, signifie la tache, la souillure. Le terme fut proposé dans les années 1960 par le biologiste marin Maurice Fontaine pour désigner l’ère géologique actuelle, marquée par la production des déchets, mais fut délaissé par la suite en faveur de anthropocène.

Présentation

L’exposition d’Elvia Teotski revalorise ce rebut de langage tout comme elle réemploie plus largement des matériaux déclassés ou abandonnés. Elle accueille le public dans un espace habité, où des mouvements à peine perceptibles s’opèrent en permanence. Il est invité à déambuler attentivement dans un environnement où différentes composantes organiques coévoluent, loin de toute manifestation spectaculaire. L’exposition, conçue comme un ensemble, demande de prendre son temps, d’accueillir les odeurs et mouvements minimes qui témoignent de la présence d’autres êtres vivants et de processus biologiques à l’œuvre.

Molusma prend son point de départ dans les recherches approfondies menées par l’artiste le long des littoraux breton, marseillais et mexicain, territoires entre lesquels elle tisse des liens et interroge les connexions. Formée en tant qu’agronome, Elvia Teotski investit l’espace mouvant où des formes de vie interdépendantes se sédimentent et où les sociétés humaines laissent des empreintes. En Bretagne, à partir de patientes observations de milieux à la lisière d’activités agricoles et marines, elle a engagé des dialogues avec des activistes, des professionnel·les du bâti ancien et des scientifiques, et réalisé des prélèvements. Sur cette base, elle développe ses expérimentations plastiques sensibles en lien étroit avec l’expérience du territoire et ses habitant·e·s multiples.

Composant avec des matériaux altérés par l’action humaine, qui débordent les intentions initiales et engendrent des processus entropiques, Elvia Teotski explore ce que l’anthropologue Anna Tsing appelle une écologie ferale : un environnement composé d’êtres domestiqués, dont l’évolution échappe au contrôle humain. L’artiste investit ces configurations instables, où des formes de vie surgissent dans les destructions causées par la promesse productiviste moderne de rendements toujours croissants. Elle s’installe sur les points de bascule où de nouvelles formes d’existence émergent dans des milieux affectés et y développe des propositions spéculatives.

L’exposition présente des constructions faites d’adobes, briques en terre crue, produites en collaboration avec la Briqueterie Solidaire TERRE (Ille-et-Vilaine), en utilisant la terre récupérée de chantiers et des algues échouées sur le littoral. Les briques sont assemblées en éléments architecturaux dans des états transitoires. Elles absorbent l’humidité ambiante et deviennent le support de moisissures ou se rétractent en séchant, altérant ainsi leur équilibre. Des insectes nichent dans les interstices des constructions et s’inscrivent à leur tour dans un cycle alimentaire : alors qu’ils sont nourris avec les restes du marché avoisinant, ils sont eux‑mêmes un aliment potentiel à usage humain. Au moment où les élevages intensifs et leurs conséquences néfastes pour les animaux, les sols et le milieu marin sont exposés à une critique grandissante en Bretagne et ailleurs, Molusma agence un ensemble fragile d’organismes interdépendants, qui demandent une attention constante. Cette exposition invite le public à entrer dans la « zone sensible », à se mettre à l’écoute et à en prendre soin.

Lotte Arndt

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