Le titre de l’exposition est emprunté à un roman de Richard Brautigan dans lequel l’écrivain dresse une liste de livres jamais publiés, que le personnage principal recueille dans une bibliothèque dont il est le gardien*. L’Œuf pondu deux fois, est l’un de ces livres. Pour Béatrice Quinn Porter, son auteure, « [il est] la quintessence de toute la sagesse et la philosophie qu’elle [a] acquises en vingt-six ans passés à s’occuper d’un élevage de poules, à San José »*. Éléonore Saintagnan avait déjà utilisé le titre d’un des livres imaginaires de ce roman pour sa première exposition monographique, Dieu et la Stéréo. Selon elle, les personnages de ses films sont un peu comme les auteurs de ces livres non publiés.
L’artiste s’est d’abord fait connaître par ses films. Fruits d’un long travail de terrain et d’un art de la rencontre et du partage, ceux-ci imbriquent avec humour et sagacité réalité et fiction, conte et ethnographie, communautés et individus. S’y déroulent des micro-histoires, bien réelles bien que souvent fantaisistes (Les Malchanceux, La grande nouvelle) ou librement inspirées de la réalité (Une fille de Ouessant, Les petites personnes), qui font écho à la grande Histoire. Elle y développe un goût pour l’absurde, mêlé à des saillies d’humour et de dérision, ainsi qu’une tendresse furtivement mélancolique, souvent liée à l’enfance.
Ce goût pour l’absurde, doublé d’un intérêt nouveau pour l’artisanat, se retrouve dans ses objets. Ainsi, elle présente pour la première fois un ensemble de pots qui ont formes de visages et dont les motifs empruntent aux vocabulaires à la fois moderniste et primitiviste, qu’elle métisse avec humour, voire insolence, et élégance. Un tapis de jeu, confectionné par l’artiste en Asie à partir de costumes traditionnels coréens et japonais, permet aux visiteurs d’expérimenter et de réapprendre des jeux folkloriques oubliés.
Une autre expérience proposée aux visiteur·se·s – des cabanes dans lesquelles il faut grimper et s’installer pour regarder les films –, donne à l’exposition un air de campement néolithique et/ou utopique. On retrouve dans ces constructions la volonté de l’artiste de faire avec les mains, mais aussi son art de la rencontre, puisqu’elle a imaginé et réalisé ces cabanes en étroite collaboration avec l’équipe technique de La Criée, des stagiaires et des artisans locaux.
Les œuvres de l’exposition d’Éléonore Saintagnan L’Œuf pondu deux fois sont comme les différentes portes d’entrée ou chapitres d’un récit plurimédia et pluridimensionnel, qui se regarde et s’écoute autant qu’il se pratique. Ce récit serait celui d’une bibliothécaire attachée à nous faire connaître des histoires inconnues, minorées et pourtant riches, épaisses et parfois miraculeuses.
* Richard Brautigan, L’avortement : une histoire romanesque en 1966, 1970 (traduit en 1973 par Georges Renard)