Alors que j’écoutais moi aussi David, Eleanor, Mariana, David, Jean, Mark, Genk, Daphne, Pierre, Shima, Simon, Zin, Christian et Virginie est la dernière exposition du cycle de La Criée centre d’art contemporain autour du récit.
Elle est la face B, le miroir légèrement déformé de la première exposition du cycle, qui présentait quasiment les mêmes artistes, exceptions faites de Daphne Oram, qui succède à Delia Derbyshire et de Christian Xatrec, proche de Jean Dupuy.
Des histoires sont arrivées aux œuvres présentées dans la première exposition, qui les ont parfois transformées, parfois projetées dans le passé, dans le futur, dans les nuages même… et toujours épaissies.
Ainsi, certaines œuvres sont simplement retournées et laissent apparaître leur face habituellement cachée : après avoir vu les rectos des cartes postales d’Eleanor Antin, nous en découvrons les versos et donc certains des destinataires auxquels ces cartes avaient été adressées.
L’exposition se compose par ailleurs de différentes archives, pour la plupart inédites, et pose ainsi la question de la pérennité de l’œuvre par la trace, par ses marges aussi. Ainsi, après avoir écouté Delia Derbyshire, c’est une autre pionnière de la musique électronique, Daphne Oram, dont on peut découvrir quelques morceaux, partitions et projets ; après avoir présenté un ensemble d’œuvres réalisées par Jean Dupuy à partir du souvenir de performances dont il fut acteur et initiateur dans le New York des années 80, sont présentées les affiches, de la main de l’artiste, qui annonçaient ces mêmes performances : back and forward donc. De David Antin, on découvre les archives du projet des Skypoems : deux poèmes écrits dans le ciel par des avions fumigènes publicitaires, dont chaque vers était écrit sur une distance d’environ un kilomètre et demi. Quant à David Horvitz, après avoir interrogé la connivence entre l’eau des nuages et celle des robinets, il rassemble ici un certain nombre d’indices témoignant du potentiel artistique de l’océan.
L’exposition prolonge également les rencontres entre destins individuels, histoire de l’art et histoire. Après avoir présenté des catalogues de musées découpés, Mariana Castillo Deball nous raconte ici, à travers l’histoire d’un (autre) livre, le difficile passage (ou rapt) de culture entre colonisateurs et colonisés ; dix ans après sa première aventure en canoë, qui nous avait emmené à la recherche de l’okapi, Simon Starling nous propose quant à lui, dans une toute nouvelle vidéo, de tenter de traverser la Mer Morte, d’Israël en Jordanie.
Certains artistes ajoutent un nouveau chapitre aux histoires qu’ils avaient commencé l’hiver dernier : relisant une pièce de Ray Bradbury, Virginie Yassef nous en présente les premiers personnages, après nous en avoir laissé deviner le décor ; Zin Taylor nous dévoile ce qu’il est arrivé depuis un an aux figures et formes qu’il avait dessiné sur les murs du centre d’art ; gerlach en koop proposent de nouveaux Pillow Objects dont les formes et les sens découlent de celui exposé l’hiver dernier ; et l’on suit avec jubilation Shimabuku dans la suite de ses aventures avec les pieuvres.
Enfin, avec Mark Geffriaud, Christian Xatrec et Pierre Paulin, la question est à nouveau posée et toujours ouverte : est-ce qu’une œuvre peut vivre seulement par les récits qu’on en fait ? Pour renforcer et interroger cet effet de répétition dans les œuvres, les œuvres de chaque artiste sont placées aux mêmes endroits ou presque que dans la première exposition.
Avec Alors que j’écoutais moi aussi […], nous vous proposons donc de faire avec nous ce rêve étrange et pénétrant d’une exposition qui ne serait jamais ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Et de nous demander : qu’est-ce qui varie d’une exposition, d’un récit, d’une œuvre à l’autre ? En quoi l’œuvre d’art est-elle une variation, une traduction, une transmission, une attitude ?