Jürgen Bock
Commisssaire
Allan Sekula est un photographe, théoricien, historien de la photographie et écrivain de renom. Mêlant photographie en couleur et texte, son travail s’axe sur les systèmes économiques, un sujet souvent considéré comme incompatible avec le champ artistique. Les théoriciens de la culture considèrent généralement que l’économie présente peu d’intérêt pour les acteurs de l’art, bien que nombre d’œuvres subissent incontestablement l’influence des forces du marché.
Pour Allan Sekula, il n’est pas pertinent de considérer la photographie comme un médium artistique comme les autres, aux côtés de la peinture et de la sculpture. Il prend en compte la modestie de la technique, et la possibilité qu’elle offre d’atteindre la connaissance par une observation attentive, comme une caractéristique plus intéressante. En s’appuyant sur sa capacité à décrire les aspects des systèmes économiques dans le cadre des arts visuels, à travers ce qu’on appelle communément la pratique «documentaire», Allan Sekula tente d’offrir une alternative claire au style de photographie généralement exposé par le système actuel des musées et des galeries. Selon l’artiste, ce système, dans son essence même, prépare un «avenir antiquaire», qui condamne l’art à se conformer à des reliques des musées du temps passé.
Ces dernières années, Allan Sekula a travaillé sur des projets de longs documentaires inspirés par des événements politiques contemporains. Ces projets ont donné lieu à des films et des séries photographiques d’envergure aboutissant à la publication d’un livre. Dans ces publications, les photos sont contextualisées par des textes de l’artiste – toujours présents dans ses expositions – ce qui montre bien que la pratique de Allan Sekula englobe également l’écriture, aux côtés de la production d’œuvres visuelles.
Allan Sekula adapte chaque exposition grâce à une sélection rigoureuse de photographies et d’objets spécifiques au contexte du lieu, réécrivant ainsi son propre récit à travers la re-disposition de l’œuvre. En développant ses expositions de lieu en lieu, un lien se crée entre les villes et les ports, évoquant ainsi la production et la circulation des marchandises à travers les relations en réseau complexe des villes portuaires, sujet du travail d’Allan Sekula. La Criée présente aujourd’hui l’exposition The Dockers’ Museum. Les photographies de la série Ship of Fools – déjà présentées à Anvers, São Paulo et Edimbourg – constituent une partie de l’exposition. À Rennes, leur configuration est différente, mettant l’accent sur la collection d’objets appartenant à l’artiste, liés au monde des dockers et des marins, comme en témoigne le titre de l’exposition The Dockers’ Museum. Ces «objets d’intérêt» ne doivent pas être compris comme des œuvres d’art, mais comme des facteurs de contextualisation de la photographie de Allan Sekula, tandis que les photographies en retour contextualisent l’incessante collecte d’objets entreprise par Allan Sekula. L’artiste trouve ses «objets d’intérêt» sur les sites d’enchères en ligne, pointant le contraste entre la mystique «vitesse de la lumière» d’Internet et le lent mouvement des cargos, 90% de ce qui navigue sur les mers.
Une des œuvres essentielles présentées à La Criée est une série de portraits de l’équipage du Global Mariner. La Fédération Internationale des Transporteurs a aménagé en 1998 un cargo pour accueillir dans ses cales une exposition multimédia itinérante. Cela faisait partie d’une campagne de dix-huit mois autour du monde contre la navigation sous pavillon de complaisance et contre les salaires en conséquence abusivement bas versés aux membres des équipages, aux droits très restreints. La participation d’Allan Sekula à diverses étapes du voyage a donné lieu à une série de photographies dans laquelle l’artiste attire l’attention sur les protagonistes inconnus de cette situation lamentable.
En prenant comme sujet l’«espace oublié» de la mer, avec ses 100 000 navires et 1 500 000 travailleurs, Allan Sekula réfléchit aux conséquences des idéologies néolibérales actuelles. Son œuvre interroge leurs promesses d’un flot incessant et sans douleur de marchandises et de capitaux en pointant du doigt la consommation, la négation du travail et ses conditions derrière tout cela. Cela révèle l’impact profond de la mondialisation sur la vie des gens.
Jürgen Bock
partenaire :
-- Lumiar Cité, Lisbonne, Portugal
collaboration :
-- M HKA, Anvers, Belgique
-- Stills – Scotland’s Centre for Photography, Edimbourg, Royaume-Uni
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