PALAISPOPEYE fabrique de l’abîme : la photographie représente un décor de cinéma, un village entièrement construit sur l’île de Malte pour les besoins du film Popeye réalisé par Robert Altman en 1980. Cette photographie déployée dans l’espace et annexée au titre de l’œuvre, PALAISPOPEYE, génère un puits sans fond de références et d’images se renvoyant les unes aux autres : du paysage réel de l’île au décor de cinéma, du film de Robert Altman à la création cinématographique de Popeye en 1929 puis aux innombrables dessins animés, de la photographie d’Alexandre Perigot à ses différentes déclinaisons sous le titre Radio Popeye – impression sur bâche, livre, affichage ou billboard couvrant la façade d’un palais vénitien lors de la Biennale de Venise en 2003. Ces strates visuelles, ces images d’images dupliquent la fiction à l’infini, troublant ainsi toute prétention à la vérité d’une image.
PALAISPOPEYE à la renverse : l’architecture labyrinthique et le déploiement de l’image photographique donne au spectateur l’illusion d’habiter réellement l’image, d’en être le personnage central. Dans le même temps, le grossissement de l’image, sa matière pixelisée trouble la vision et, associée à la rotation des cloisons, provoque un vertige ou une sensation d’ivresse. A ce stade, l’image ne peut plus être maîtrisée du regard dans sa totalité, abandonnant son statut de représentation pour s’inscrire dans l’espace et dans le corps en fantasme.
PALAISPOPEYE, video in – video out : le dispositif subvertit radicalement la posture du spectateur, créant un retournement du video, c’est-à-dire de l’acte de voir qui ferait dire au spectateur : « Je vois ». En effet, impossible pour celui-ci d’embrasser l’image d’un coup d’œil ou de la contempler comme il pourrait le faire dans une exposition de photographie. Le spectateur ne se trouve pas non plus devant un film composé de milliers d’images montées entre elles pour dérouler ou (dé)construire une histoire : ici, c’est une et une seule image qui prévaut, mais une image fragmentée à l’extrême, une image où l’unité génère le multiple, le rhizome, la combinaison. De fait, il y a de l’obscène dans l’image au sens où ce n’est plus le spectateur qui regarde l’image mais c’est l’image qui se décompose et se démultiplie pour mieux aveugler le spectateur.
PALAISPOPEYE ou comment déjouer le spectacle : le dispositif déambulatoire de PALAISPOPEYE peut se référer aux jeux vidéos dans lesquels le joueur s’engouffre par l’image dans un dédale de labyrinthes, d’impasses, de passages dérobés, ayant à la fois l’illusion d’en sortir et de s’y perdre. Ce rappel du jeu vidéo vaut surtout pour ce pouvoir de séduction inhérent à nos sociétés du spectacle. Alexandre Perigot s’approprie et détourne le spectaculaire, révélant en quoi le pouvoir de séduction par l’image est effectivement un pouvoir de contrôle sur l’autre. De fait, c’est toute la scène du monde contemporain qui transparaît dans PALAISPOPEYE : subrepticement, l’artiste questionne qui aujourd’hui produit et manipule les images, comment les appareils de pouvoir prétendent distraire à coups d’expositions ou de spectacles racoleurs, opérant par là un contrôle sournois des corps et annulant toute autonomie de jugement et de regard.
Larys Frogier
co-production avec Station mobile, Rennes et 3 bis f – Lieu d’arts contemporains, Aix-en-Provence