Partant d’une première cuisine qui consiste à mélanger peinture et résine acryliques, l’artiste entreprend différentes procédures d’investissement de la toile : alignement méticuleux de gouttelettes de peinture au moyen d’une pipette, étalement de « rubans » de couleur sinueux, tramage de la toile de « filets » de peinture, superposition et coagulation des couleurs en « pâtés »… La gestuelle d’étalement ou d’égouttement de la peinture est rigoureusement pensée par l’artiste au sein de son atelier. Parfois, la peinture est soumise à des contraintes particulières, comme l’enfermement de la toile fraîchement peinte dans un film plastique qui est ensuite troué par endroits au moyen d’une aiguille, laissant émerger des cloques d’air et des boursouflures de peinture. Le processus pictural n’est pourtant jamais totalement contrôlé. Il faut aussi laisser faire la peinture selon sa qualité de séchage, de fluidité, de coagulation, de glissement.
L’abstraction émerge d’une posture physique du peintre en rapport à un plan horizontal de travail (table), ainsi que de l’ajustement du geste en fonction du format de la toile (petits formats ou grands formats carrés). Pour son exposition à La Criée, l‘artiste propose une double lecture de ses œuvres fondée sur la verticalité et l’horizontalité. En effet, aux toiles accrochées sur les murs du centre d’art, Emmanuelle Villard a conçu un dispositif de tables dispersées dans l’espace. Certaines de ces tables seront inoccupées, d’autres seront incrustées de quelques toiles à la manière de marqueteries. Dans tous les cas, le visiteur ne pourra simplement engager une déambulation linéaire dans l’espace d’exposition. En fonction des rapports toiles/tables, il devra tenir compte d’un recul (in)suffisant pour regarder les peintures au mur, d’une impossibilité à pénétrer dans la petite salle d’exposition étant donné l’encombrement des tables, d’une posture particulière de vision des peintures sur les tables.
Emmanuelle Villard mêle le plaisir au temps de la réflexion patiente, de la recherche maîtrisée. L’artiste opère des choix, par éliminations, accidents, juxtapositions ou combinaisons tactiques, contaminations ou imprudences volontaires. Les formes géométriques, circulaires, gouttes épaisses, rubans ou entrelacs, qui en découlent sont issus de ce cheminement du corps et de la pensée. Les différents moyens que l’artiste explore sont autant de variantes de ce jeu de proximité et de mise à distance, autant physique que mentale, d’une pratique décomplexée de la peinture.