Revisiter la place du spectateur dans l’espace d’exposition est une préoccupation commune aux œuvres de Simone Decker et de Félix González-Torres. Untiltled (beginning) est un grand rideau de perles vertes et argentées de Félix González-Torres. C’est ce rideau que les visiteurs sont invités à écarter pour pénétrer dans La Criée. Travail sur le passage et le glissement d’un espace à un autre, d’un temps passé à une renaissance espérée, l’artiste évoque avec beaucoup de tact ce risque d’aller voir de l’autre côté du miroir, de l’autre côté de la frontière.
Simone Decker a réalisé un Pavillon de chasse, parallélépipède imposant exclusivement constitué de bandes adhésives double-face transparentes. Visuellement, l’œuvre impressionne le spectateur par son jeu sur la transparence et l’opacité, ainsi que par la simplicité des moyens utilisés pour parvenir à un volume monumental. L’œuvre impressionne aussi par ses hautes qualités tactiles : en ayant la possibilité de palper et de pénétrer dans ce volume à la fois fragile et solide, le visiteur se colle littéralement à lui, s’exhibant aux yeux des autres spectateurs incrédules, laissant des traces de son passage dans l’exposition (empreintes de pas, cheveux, papiers, etc.)
La question de la figure du corps est sensiblement évoquée dans l’exposition Ex-Change. Bill Jacobson a réalisé des séries photographiques en noir et blanc de portraits anonymes. Maîtrisant superbement le hors-focus, le photographe fait osciller les figures de corps entre leur prégnance et leur évanouissement sur un fond neutre blanc ou noir. Félix González-Torres a également réalisé des portraits mais sous la forme d’un entassement de bonbons, Untilted (Lover Boys) destiné à être suçotés par les visiteurs. Cet entassement équivaut en fait aux poids réunis de l’artiste et de son amant. Corpus symbolique d’un enlacement amoureux, l’œuvre risque alors sa disparition au contact des visiteurs et dans le temps d’exposition.
Le rapport à l’autre est certainement l’axe majeur de cette exposition. Nan Goldin écrit visuellement son journal intime en photographiant ses amies les plus proches, de même que Gillian Wearing propose à des individus de se livrer en photographie et en mots à l’artiste et aux spectateurs. De tels récits intimes peuvent parfois être dérangeants et mésestimés comme de l’exhibitionnisme gratuit. Il est pourtant certain qu’ils font voler en éclats les illusions d’une communication de surface inhérente à notre société de consommation de l’image.
Se risquer au contact de l’inconnu constitue le moteur de la pratique artistique contemporaine. Olivier Dollinger a filmé dans La Criée un adolescent qu’il a rencontré dans la ville de Rennes. Renfermé sur lui-même par un baladeur et appréhendant l’espace blanc et dépouillé de La Criée, l’adolescent éprouve le lieu selon des procédures d’enfermement, de déplacement et de confrontation. Cette mise en situation particulière est rythmée par une action de ce jeune homme qui consiste à démarrer un scooter et à faire patiner la roue dans le vide. L’étrangeté de la situation révèle La Criée autant comme un espace d’aliénation que de comme un espace à s’approprier, voire à habiter selon ses propres sensations et réactions.
Christelle Familiari est quant à elle en Demande de suçons. Mais une telle requête faite le soir du vernissage exige une mise en relation particulière de l’artiste au visiteur. Christelle Familiari s’offrira au visiteur en se recouvrant au préalable d’une robe rouge et d’une cagoule tricotées main, vêtements qui ne laisseront à découvert que ses épaules et son cou. Assise dans l’espace, l’artiste attend une réponse du visiteur à une prière de toucher avec sa bouche. Au spectateur alors de mettre à nu son désir d’approcher l’artiste et de l’embrasser très fort…
Ex-Change : qui (s’)expose ?
Larys Frogier