Une lumière qui sensibilise Lumière dans les œuvres et dans l'exposition : comment Pierre-Jean Giloux sensibilise le spectateur à des problématiques toujours plus actuelles

L'exposition Biomimetic Stories de Pierre Jean Giloux, présentée à La Criée du 10 octobre au 29 décembre 2024, propose une immersion dans un univers où la technologie et la nature se rencontrent. À travers ses installations vidéo et son travail sur la lumière, l'artiste interroge notre relation aux environnements urbains et naturels en s'inspirant des principes du biomimétisme, questionnant plus largement le monde de demain. Ici, nous explorerons comment la lumière, à la fois dans les vidéos et dans l'espace d'exposition, contribue à la création d'une atmosphère immersive et comment les œuvres elles-mêmes participent à la scénographie de l'ensemble pour intégrer le spectateur dans une réflexion actuelle sur un monde futur. 

La lumière comme élément central de l’exposition

La lumière : un sujet et un médium clé

Pierre Jean Giloux imagine la ville du futur et questionne plus largement celle-ci. Comment vivrons-nous demain ? Qu'est-il possible d'imaginer, de représenter, d'aspirer ou de totalement rejeter ? Ses projections personnelles deviennent un support d’expression où le motif de la lumière, notamment, est récurrent. En effet, il est intégré dans son œuvre comme une problématique importante : quelle sera la place de la lumière dans la ville du futur ? Sera-t-elle une source positive ou négative de nos villes ? Existera-t-elle toujours ? Pourrons-nous l'utiliser ? 

De nombreux projets artistiques s’intéressent aujourd’hui à la question du monde de demain. Cependant, il est plus rare de voir des œuvres qui placent la lumière au cœur de leur démarche, l’utilisant comme un prisme essentiel pour interroger les enjeux et mutations à venir. Lier nature, lumière et technologie dans une perspective futuriste est ce qu'entreprend aussi l'artiste Olafur Eliasson, comme Pierre Jean Giloux dans Biomimetic Stories. En effet, l’œuvre The Weather Project (2003) d’Olafur Eliasson est une illustration intéressante de cette idée : ici, c’est la représentation, la mise en scène et le façonnage de la lumière qui expriment et interrogent un futur pesant et menaçant. À sa manière, Pierre Jean Giloux s’inscrit également dans cette démarche où la lumière joue un rôle clé dans la vision du monde de demain.

De plus, au-delà d’un simple élément de réflexion, la lumière devient un médium à part entière, structurant l’atmosphère et l’identité de l’exposition dans son ensemble et appuyant le propos de l'artiste. En effet, sur le site internet de Pierre Jean Giloux, la présentation de son travail est significative : (lien externe)The exhibition and projection of his films take the form of immersive installations, where the spectator is invited to wander inside multi-screen devices. The associations of images give the viewer free rein to invent and compose his or her own narratives. He also projects his films in the framework of video and digital arts festivals.”  (lien externe)Chacune de ses expositions se veut une expérience en elle-même. La lumière de l'artiste raconte et crée des effets. Il l'intègre DANS ses oeuvres, mais également AUTOUR de ses œuvres, via la scénographie. 

Avant d’analyser et de définir l’ambiance que ce médium crée dans Biomimetic Stories et l’effet sur le spectateur, il est intéressant de décortiquer les dispositifs mis en place, liste sûrement non exhaustive, mais révélatrice du coup d'œil (et de main) de l’artiste.

plan de l'exposition

1. Bande Sonore Ahmedabad market / 2. Cotonnier à soie rouge / 3.

Le spectateur entre dans le lieu d'exposition et est immédiatement plongé dans le noir. De la lumière extérieure, il se retrouve dans un couloir sombre où un décor non éclairé est exposé sur le mur face à l'entrée. 

4. #2 Pirana Dump Yard / 5. #1 Madurai / 6. #3 Dholera

Espace d'exposition éclairé par la lumière de projecteurs suspendus en hauteur. Les trois vidéos créent également de la lumière dans l'espace. 

4. #2 Pirana Dump Yard

L'évolution de la lumière dans l'œuvre est représentative du message passé. En effet, la vidéo devient de plus en plus sombre. On passe d’un “paysage” lumineux à une décharge plongée dans l’ombre : scène apocalyptique. La lumière se mélange à la brume, elle en est presque masquée et c'est dans le noir complet que s'achève #2 Pirana Dump Yard

 5. #1 Madurai

 La ville de demain est au cœur de cette proposition. La lumière en est ici un élément clé : les réservoirs d'eau seraient aussi des luminaires et Pierre Jean Giloux aborde la notion de bioluminescence : comment générer de l’éclairage par les végétaux ?

6. #3 Dholera

Pierre Jean Giloux présente la ville de Dholera comme elle est et pourrait être si sa construction n'était pas en arrêt. Le soleil est la source de lumière clé de ce projet, il rend impossible l'évolution de la ville. C'est une lumière apocalyptique qui est mis en scène, proposant des longs plans de coucher de soleil.

7. #4 BioluminescenTTower / 8. Storyboard

Pièce plus petite et plus éclairée. Une barre d'une dizaine de petits spots accrochés au milieu du plafond permet l'éclairage. 

7. #4 BioluminescenTTower

Vidéo de synthèse mises en scène dans le noir. Si l'on comprend ce qui s'y passe, c'est grâce aux végétaux de la vidéo qui sont source de lumière dans la ville du futur.

8. Storyboard

Chaque dessin représente une source de lumière vive provenant du végétal. Dessins à l'aquarelle, c'est le blanc, vert et jaune qui permettent la luminosité des œuvres.

La scénographie et les œuvres comme éléments lumineux

Les œuvres comme partie intégrante de la lumière.

Alors que le motif de la lumière se trouve dans les œuvres, dans Biomimetic Stories la lumière joue également un rôle clé à l'extérieur des œuvres. En effet, les œuvres font partie intégrante de la lumière de l’exposition, elles sont presque les seules sources lumineuses de la scénographie. 

De nombreuses expositions ne peuvent exister sans des lumières artificielles qui viennent révéler les œuvres et définir l'ambiance de l’espace. Pourtant, dans Biomimetic Stories les œuvres de Pierre Jean Giloux se suffisent à elles-mêmes pour créer l’ambiance lumineuse. Les projections vidéos étant les pièces centrales de l’exposition, elles créent par elles-mêmes l’ambiance lumineuse de la pièce et deviennent des installations lumineuses à part entière. La lumière devient ici un moyen de visualisation, elle se transforme également en un matériau artistique et fait partie intégrante du processus créatif. Dans cette même idée, nous pouvons citer l'exposition de James Turell à la Pace Gallery à Londres (2020) dans laquelle les œuvres représentent une majeure partie de la lumière de l’exposition. Ici, les œuvres sont des panneaux de couleurs lumineux qui créent l’ambiance lumineuse de la pièce et se diffusent à travers l’espace. Ainsi, alors qu'il est courant de retrouver des lumières artificielles dans les scénographies de musées pour mettre en valeur les œuvres, le procédé d’utilisation de la lumière des œuvres comme élément principale de la scénographie de l’exposition est une approche plutôt novatrice. Il est possible d'y voir un clin d'œil à la réflexion de Pierre Jean Giloux sur le monde de demain : alors que la lumière reste au centre de nos projections futures et que la technologie joue un rôle clé, dans l'art et en scénographie, ils sont également sources d'innovation, de renouvellement et de réflexion.

Une création lumineuse totale par la scénographie

La scénographie joue également un rôle important dans l'aspect immersif et narratif de l'exposition. En effet, une interaction entre les œuvres est permise par leur disposition dans l’espace. D'une part, les projections vidéo produisent des ambiances et des jeux lumineux qui leur sont propres. Par leur disposition, chacune crée indirectement des limites et une transformation de l'espace : elles guident le spectateur à travers l’exposition et génèrent une délimitation des différents univers explorés dans les œuvres. D'autre part, BioluminescenTTower et son storyboard sont isolés pour ne pas être affectés par la lumière très forte des œuvres de la salle principale. Cette œuvre inachevée ne rentre donc pas en confrontation avec le reste de l’exposition. Par cette scénographie, les œuvres sont lisibles seules, mais créent aussi un dialogue. Elles se confrontent malgré elles ou racontent une histoire propre à la sensibilité de chaque spectateur. Libre à chacun d'y voir des liens, d'en créer ou non. Dans cette idée, les œuvres font la scénographie, mais la scénographie est finalement aussi une œuvre à part entière. Novatrice et intelligente, elle renforce le dialogue avec le spectateur et permet l'intégration de celui-ci dans la réflexion de Pierre Jean Giloux. 

L’effet de la lumière sur le visiteur : une expérience immersive

L'impact sensoriel de la lumière

Comme évoqué plus tôt, la lumière joue un rôle essentiel : en modulant l'atmosphère de chaque scène, elle permet aussi d'intégrer le spectateur pleinement dans le projet de l'artiste, de susciter son intérêt, voire sa réflexion sur les problématiques mises en avant. Les projections lumineuses, associées à des images de synthèse, créent des ambiances variées qui transportent le visiteur dans des environnements urbains futuristes où la frontière entre le réel et le virtuel s'estompe. Cette utilisation de la lumière permet de susciter des émotions, renforçant ainsi l'immersion sensorielle du public. Ce procédé rappelle l’approche d’Apichatpong Weerasethakul dans l’exposition Particules de nuit, où la lumière et l’ombre sont utilisées pour créer une atmosphère onirique et hypnotique, plongeant les spectateurs dans une expérience sensorielle altérant leur perception du temps et de l’espace. Les jeux d’ombres et de lumières de chacune de ces expositions permettent de stimuler la curiosité et l’imagination des visiteurs. Les projections vidéos et les éléments lumineux créent un voyage visuel où chaque moment est marqué de nuances de lumière qui vont susciter diverses émotions, parfois apaisantes ou à l'inverse, plutôt étranges et angoissantes.

La perception des œuvres à travers la lumière

L'œuvre de Giloux mêle images réelles et virtuelles, en utilisant la lumière afin de guider le regard du spectateur et structurer la narration visuelle. Les contrastes lumineux dirigent l'attention vers des éléments clés de chaque scène, facilitant ainsi la compréhension des thématiques abordées, telles que le biomimétisme et l'intégration harmonieuse de la technologie dans l'environnement naturel. Les lumières sont uniquement centrées sur les tableaux dans le but de les mettre au premier plan et de poser le regard uniquement sur ces éléments.  Ce procédé rappelle l’illusion d’infinité et d’immersion totale offerte par The Weather Project d’Olafur Eliasson, où la lumière était utilisée pour modifier la perception spatiale du visiteur et créer une expérience collective hors du temps. Celle-ci ressemble à un élément central de l'œuvre afin de créer une expérience immersive et que le visiteur soit totalement absorbé par l'exposition.

De manière similaire, l’Atelier des Lumières à Paris utilise la lumière projetée sur les murs, le sol et le plafond pour immerger le visiteur dans un univers pictural en mouvement. Les œuvres projetées acquièrent une nouvelle dynamique, transformant la perception du spectateur en fonction de sa position et du mouvement de la lumière.

Le dialogue entre la lumière et le public

Ainsi, le dialogue entre la lumière et les visiteurs est au cœur de l'expérience proposée par Biomimetic Stories. Cette dimension immersive permise par le caractère englobant des espaces sombres et des vidéos projetées aux murs rendent chaque visite unique et personnelle. La lumière renvoie une atmosphère qui joue sur la réception des visiteurs. En effet, on relève une sorte de sentiment de déconnexion au monde extérieur, une perte de repères. Ce principe trouve un écho dans l’expérience proposée par l’Aquascope du Futuroscope, où la lumière est un élément dynamique influençant la perception spatiale du visiteur, mais également dans les expositions de l’Atelier des Lumières à Paris, où les projections lumineuses transforment l’environnement pour plonger les visiteurs dans un univers visuel enveloppant et en adéquation avec l’exposition proposée.  Ici, pièce noire et vidéos presque hypnotiques mettent chacun dans des conditions de réflexion voire d'introspection. Suis-je concerné par ce qui est montré ? Est-ce réel ou fictif ? Cette ville de demain me plait-elle ? Ai-je un rôle à jouer ?

Ainsi, dans Biomimetic Stories, la lumière dépasse son rôle traditionnel d’élément d’éclairage pour devenir un médium narratif à part entière. Pierre Jean Giloux l’intègre aussi bien dans ses œuvres que dans la scénographie, créant ainsi une atmosphère immersive qui façonne la perception du spectateur. En modulant les ambiances et en influençant les émotions, la lumière devient une clé de lecture du monde de demain, oscillant entre utopie et dystopie, entre innovation technologique et perte de repères.

Cette approche rappelle d'autres expérimentations artistiques, comme celles d’Olafur Eliasson ou des expositions immersives de l’Atelier des Lumières, où la lumière est utilisée pour troubler la perception de l’espace et du temps. Elle engage le spectateur dans une réflexion sur la place de la lumière dans nos villes futures : sera-t-elle un outil de connexion et d’harmonie, de vie ou un facteur d’isolement, d'inégalités voire même un élément inexistant  ?

Apolline Roussel, Lola Bonnin & Mathilde Gourtay