Équilibre entre l'urbanisme, la nature et l'homme

Face aux défis climatiques, comment imaginer des villes qui s’adaptent sans détruire leur environnement ? L’exposition Biomimetic Stories de Pierre Jean Giloux soulève cette question essentielle en confrontant utopie et réalité. À travers des exemples frappants, comme l’échec de la ville de Dholera, construite sans tenir compte de son écosystème, ou les succès de projets innovants comme ceux du LowTech Lab, ce texte explore les erreurs du passé et les solutions d’avenir. Et si la ville de demain était vivante, modulable et en harmonie avec la nature ? Un urbanisme plus responsable est possible, à condition de penser flexibilité, matériaux durables et cohabitation avec notre planète.

Équilibre entre l'urbanisme, la nature et l'homme

Suite à l’exposition « Biomimetic Stories » de Pierre Jean Giloux, nous nous sommes posés de nombreuses questions en découvrant les différents films présentés à La Criée. Face aux scénarios d’utopie urbaine imaginés, la question de l’équilibre et du lien entre la nature, l’homme et l’urbanisme nous a semblé à la fois primordiale et complexe.  

Si ces trois notions semblent, à première vue, opposées, elles sont pourtant indissociables. La nature ne se limite pas à un simple décor végétal ; elle représente l’état originel du monde avant toute intervention humaine, un équilibre que l’homme tente de maîtriser sans jamais réellement y parvenir. Elle est à la fois puissante, résiliente et indispensable à notre survie.
L’homme, quant à lui, habite, transforme et exploite la planète, flirtant sans cesse avec ses limites. Ces interventions engendrent des transformations, forçant la nature à s’adapter en permanence.  L’urbanisme, reflet des ambitions humaines, façonne nos espaces de vie en érigeant des structures destinées à répondre à nos besoins, souvent au détriment des populations ou des écosystèmes préexistants.  

Dans cette volonté de toujours anticiper et répondre aux défis climatiques et environnementaux, une question se pose : comment penser des solutions urbaines éphémères qui répondent aux besoins d’aujourd’hui sans compromettre l’avenir ? Peut-on réellement « habiter la planète » sans la dégrader ? Ne faudrait-il pas cesser de vouloir la contrôler et enfin apprendre à cohabiter avec elle ? 

Les changements urbains: constats des bonnes et mauvaises solutions

Plus les années passent, plus le monde évolue rapidement : il faut donc penser à des solutions applicables presque instantanément. On se retrouve à chercher des solutions à des problèmes présents qui ont des conséquences sur le futur. Chaque changement ou modification à des répercussions. On met en place une solution de « courte durée » pour soulager un problème, mais il deviendra le problème futur, car il n’a pas été réfléchi suffisamment longtemps. On peut voir par exemple dans l’exposition « Biomimetic Stories » de Pierre Jean Giloux à La Criée, un exemple très concret des solutions éphémères aux conséquences futures. Pierre Jean Giloux expose une vidéo de la ville « Dholera » au milieu du désert. Pour rendre cette ville habitable et constructible, le ministre a décidé d’injecter du béton dans les sols pour les rendre plus secs, car à l’origine, il s’agissait d’une surface humide exploitée par les pêcheurs. Le projet a été abandonné puisque 6 mois par an, la ville Dholera est submergée d’eau et les sols ne sont plus en capacité d’absorber celle-ci. Finalement, on se retrouve avec un projet qui voulait répondre au besoin de créer un nouvel environnement habitable, mais qui échoue. Cette initiative a détruit une partie des terres de façon définitive et son impact sur l’environnement est évidemment mauvais et irrattrapable. De plus, les pêcheurs qui pouvaient pêchers sur ces terres ont été expropriés, et on en déduit qu’il y a eu un impact sur l’écosystème marin. On se retrouve face au fameux problème “d’ambition à répondre à un problème présent sans penser aux conséquences futures”.

Il est essentiel de résoudre les problèmes d’aujourd’hui pour pouvoir résoudre ceux de demain. Si l’on décide de ne pas résoudre les problèmes présents, nous ne serons plus là pour résoudre ceux du futur. C’est un cercle vicieux auquel il est difficile de faire face. Il faut donc réussir à imaginer et concevoir des solutions présentes, sans conséquences négatives sur le futur. Il est déjà compliqué de trouver des solutions rapides et immédiates, se rajouter le challenge d’être sans conséquence n’est pas facile. Il faut se formater à penser autrement, à opter pour de nouveaux modes de conception.

Par exemple, en 2004, le groupe 5.5 designers a proposé “Reanim - la médecine des objets”. Le principe est de recycler des objets défaillants et non utilisables en leur ajoutant une greffe et ainsi leur redonner vie. Une chaise à laquelle il manque un pied s'en verra greffer un nouveau. 5.5 designers ont pensé à des “greffes” facilement utilisables, mais pas définitives. Elles sont parfois vissées, emboitées ou maintenues avec des élastiques. De ce fait, les greffes sont réutilisables sur différents objets au cours de leur vie. Et c’est peut être comme cela qu’il faut voir la ville de demain. Penser à des solutions non définitives qui permettent d'être gérées comme on le souhaite. Elles n’ont donc pas d’impacts sur l’environnement futur, car elles peuvent être retirées, exploitées différemment ou complètement transformées. La ville de demain doit être pensée comme une base sur laquelle on greffe de nouvelles solutions éphémères. Cela permettra de toujours agir efficacement plutôt que de penser à résoudre les problèmes que l’on a causés hier.

L’agence X-TU Architects et AlgoNOMAD, ont imaginé en 2015 une construction de l’idéal futur urbain. Il s’agit d’un idéal où des algues seraient cultivées sur les façades des bâtiments et permettraient d’éclairer la ville grâce à la bioluminescence. Ici l’homme, la nature et l’urbanisme cohabitent parfaitement. La nature est au service de l’homme car elle permet d’éclairer la ville. Mais pour que les algues se développent sur les façades des bâtiments, les hommes ont dû concevoir des dispositifs adaptés. La nature prend vie grâce à l’homme, et l’homme vit éclairé grâce à la nature.  Ce projet met en avant une technologie sans conséquence négative sur l’environnement puisqu’il s’agit d’exploiter les particularités d’un élément naturel, les algues. Le dispositif qui permet d’accueillir les algues est une sorte d’aquarium géant qui longe les façades. On retrouve cette notion de greffe qui pourrait être ajoutée, modifiée ou retirée. L’action d’imaginer et de concevoir, lance le principe de l’urbanisation. Le développement urbain ici est pensé en alliant le bien être humain et le bien être de l’environnement comme le veut le principe de l’urbanisation à son départ. Tout est pensé en harmonie car sans nature il n’y a pas d’homme, sans homme il n’y a pas d’urbanisation et sans urbanisation il n’y a pas de nature. Voilà l’exemple parfait pour prouver l’équilibre idéal entre urbanisation, homme et nature.

Vers une ville future plus responsable

Ces villes aujourd’hui entièrement bétonnées, sont un réel problème pour l’environnement mais également pour l’homme. Cette bétonisation des sols réchauffe nos villes, nos quartiers qui deviennent de moins en moins vivables au moment des grosses chaleurs. Ses sols et ses murs ne respirent plus. 

Depuis quelques années, des architectes se sont penchés sur la question de notre urbanisation et de l'architecture que nous pratiquions jusqu’alors. Dominique Gauzin Müller, architecte spécialisé dans l’éco-construction fait partie de ceux qui pense notre lieu de vie autrement. Le mot clé de cette appropriation des territoires est “respirer”. Nos villes, nos maisons doivent respirer. Ainsi c’est en revenant sur des méthodes de construction vernaculaire, que Dominique Gauzin Müller a participé à redorer les matériaux terres et pailles dans notre environnement. Ces matériaux performants montrent des qualités isolantes réduisant les ponts thermiques. À Rennes, la résidence Salvatierra en est un exemple. Cette construction en milieu urbain montre qu'il est possible de construire en associant une économie d’énergie, des technologies et des matériaux naturels dans des espaces d’habitats collectifs.

À ce jour, les villes françaises d’une superficie relative à l'appellation de métropole se doivent de montrer patte blanche et d’agir dans le but de réduire la chaleur dans ces quartiers. 

La ville de Lyon a entrepris de nombreux changements dans l’extra centre de la ville. Pour cela, un nouveau plan d’urbanisme a été proposé, valorisant les espaces verts et ombragés. Ces projets sont encore en négociation, cependant la ville a pour premier objectif de réduire la mobilité motorisée et de favoriser les transports en communs non polluants et d’augmenter sa surface de piste cyclable. 

En France, il n’est pas encore question d’imaginer une construction de ville sur un territoire non exploité. Ainsi, la préoccupation se concentre sur comment trouver une solution pour rafraîchir nos espaces déjà présents.

Comme nous le montre Pierre Jean Giloux dans son exposition, la pensée du gouvernement indien est de créer une nouvelle ville sur des territoires vierges. Cela amène à se questionner sur les valeurs et principes de ces pays. 

S’approprier de grands espaces comme nous le montre Pierre Jean Giloux avec la ville de Dholera, met en lumière une fascination du grand et du spectaculaire. Effectivement notre population ne va cesser de s’agrandir. Cependant, les hommes et les femmes ont-ils réellement besoin de vivre dans des espaces aussi grands ? 

La ville que nous propose le gouvernement indien est étalée sur des centaines de kilomètres, utilisant une quantité astronomique de matériaux dits d'“énergie grise”. Les smart city, également appelées sous ce nom, seront au nombre de 60 dans le monde. Ces villes intelligentes mettent en avant le confort et l’utilisation des technologies au service des usagers et de ces lieux. Partons du principe que ces habitats auront une taille moyenne de 60 à 100 mètres carrés en moyenne. Les logements de ces villes soumettront une réflexion sur les économies de ressources (matériaux, eau, énergie…).

Un vent nouveau souffle à ce jour sur de nouvelles façon d’habiter et d’autant plus en ville. 

Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz ingénieur et designer au LowTech Lab de Concarneaux se sont installés dans un appartement en région parisienne avec leurs technologies low-tech. Ils ont vécu 120 jours dans un milieu et mode de vie urbain en intégrant toutes technologies low tech dont ils auront besoin pour arriver à vivre comme en 2040 en ville. Ils ont réussi à trouver des solutions écologiques afin de réduire leur empreinte environnementale et qui soit durable. Sachant que 70 % de la population en 2050 vivra en ville, il sera nécessaire de revoir la taille de nos espaces de vie et notre dépense énergétique. Leur démarche est de montrer comment il pourrait être envisageable de vivre dans un milieu urbain dense en 2040. Dans 26 mètres carrés, ils élaborent des systèmes pour vivre autour d’un écosystème qui se développerait en fonction de leurs besoins. Imaginons comme nous le présente ces deux chercheurs de la vie de demain, un monde où les espaces offriraient la possibilité de se loger dans des espaces pensés en équilibre avec les changements climatiques et les problèmes sociaux et sociétaux.

Comme le montrent ces architectes et ces penseurs de demain, notre manière de construire à toutes possibilités de voir se dessiner des nouvelles constructions plus écologiques et de favoriser la rénovation de bâtiments. De belles perspectives s’offrent à nous avec ces ambitions pour ces villes de demain. Ainsi il est important de prendre conscience de notre territoire et de l’impact que nous pouvons avoir sur lui.

L’urbanisme d’hier a façonné nos villes d’aujourd’hui, souvent sans considération pour ses répercussions à long terme. Face aux défis environnementaux et sociaux, il devient essentiel de repenser nos espaces de vie en intégrant des solutions plus flexibles et durables. L’exemple de la ville de Dholera illustre l’échec des approches imposées à la nature sans réflexion sur leur viabilité, tandis que des initiatives comme celles de 5.5 designers ou du LowTech Lab montrent qu’il est possible de concevoir un urbanisme plus adaptable, réversible et respectueux de son environnement.  

Le futur de nos villes ne repose pas uniquement sur l’innovation technologique ou l’expansion à grande échelle, mais sur une capacité à habiter le territoire autrement. Cela implique de redonner sa place à la nature, de privilégier des matériaux durables et de concevoir des espaces capables d’évoluer avec les besoins humains sans compromettre les ressources de demain.  

Ainsi, l’architecte de demain devra être un médiateur entre l’homme et son environnement, un concepteur de solutions réversibles et modulables, capables d’accompagner les transformations urbaines sans les figer dans des modèles dépassés. Imaginer la ville du futur, c’est accepter de ne plus construire pour l’éternité, mais d’édifier des structures qui respirent, s’adaptent et évoluent, à l’image du vivant.

Gaëlle Lâm - Audrey Cheviron - Maëlys Segarra