Biomimétisme : incubateur de villes saines pour demain ?

Cet article explore l'oeuvre de Pierre Jean Giloux, "Biomimetic stories" à travers le prisme du biomimétisme.
Il invite à reconsidérer le biomimétisme comme potentiel futur pour le territoire urbain. Dans quel contexte pourra t-il être appliqué ? Quels impacts et quelles solutions propose-t-il ?

Biomimétisme : incubateur de villes saines pour demain ?

INTRODUCTION

Et si le biomimétisme devenait notre principale inspiration pour la construction des villes de demain ? 

À l’occasion du cycle thématique “Festina Lente”, hâte-toi lentement, à la Criée, l’artiste Pierre Jean Giloux nous propose ce questionnement dans son exposition “ Biomimetic Stories ”. Cette réflexion a débuté suite à son voyage en Inde et a été nourrie par ses nombreux voyages, ses diverses rencontres et collaborations.

Biomimétique, provient du mot biomimétisme, qui est “une démarche d’innovation durable qui consiste à transférer et adapter à l’espèce humaine, les solutions déjà élaborées par la nature (faune et flore).” [source Larousse]  

À ne pas confondre avec le biomorphisme qui est “ une tendance artistique consistant à imiter la forme du vivant.” [source Greentech].

Madurai, Pierre Jean Giloux - Biomimetic stories (2024)

En quoi le biomimétisme est une manière réaliste d'imaginer l'architecture de demain ?

Quels enjeux pour demain ?

Actuellement, nous sommes dans un temps d’urgence. Une urgence principalement climatique, où la nature et l’humain sont en danger. Notre activité en est la principale cause. Canicule, sécheresse, catastrophes naturelles et réchauffement global de notre planète ne cesseront d’augmenter de jour en jour, et continueront d'être des enjeux cruciaux. Mais, dès aujourd’hui, nous pouvons imaginer agir et nous adapter à ce qui se passera demain.

L’architecture fait partie des domaines importants qui doivent intégrer cette réflexion, puisqu’elle représente 40 % de l’émission mondiale ! 

Un autre facteur crucial émerge : la gestion et l’accessibilité de nos ressources. La surexploitation actuelle soulève de sérieuses interrogations, car elle nous expose au risque imminent de leur épuisement. 

Cette réalité, Pierre Jean Giloux en a pris conscience, il se l’est appropriée autant pour entamer une réflexion, que nous proposer une visualisation de notre impact sur notre environnement, par le biais de vidéos. 

On peut voir dans ces vidéos, l’Inde recueillant notre surconsommation, formellement représenté par une montagne de déchets grandissant de jour en jour.

Pirana Dump Yard

Surproduction et surconsommation

Cette montagne de déchets témoigne de notre impact, dont nous ne semblons pas être prêts à prendre conscience. Les fumées toxiques qui s’en dégagent agissent comme un signal qui nous incite à revoir notre gestion des ressources, puisqu’elle est composée en partie des ordures que nous produisons en France, et dans d’autres pays que l’Inde. 

Alors que nos déchets attestent d’une surconsommation et d’un gaspillage généralisés, ils mettent en lumière les inégalités mondiales dans l’accès aux ressources et la responsabilité partagée de leur préservation.

Pour cela, Pierre Jean Giloux suggère, par une autre vidéo, l’utilisation de ressources encore inexploitées.

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Le biomimétisme, une réponse possible ?

Inspiration de la nature parfaite

L'inspiration par la nature est un phénomène aussi ancien que l'humanité et continue d'évoluer avec les avancées scientifiques et technologiques. La biodiversité présente une grande variété de formes, de couleurs, de propriétés et de fonctions, donnant ainsi naissance au biomimétisme. Pour exemple, le scratch (Velcro) de George Mestral en 1941, qui est inspiré du fruit de la bardane et plus particulièrement de ses crochets, qui ont pour caractéristique de se déformer et s’accrocher facilement au vêtement ou autre surface. 

Dans certains cas, on peut retrouver le biomimétisme jumelé avec le biomorphisme, car la fonction peut ne pas être dissociable de la forme. Citons, par exemple, le Artsciences museum de Singapour de Safdie architect.

ArtScience Museum

La fleur de lotus

Sa forme en fleur de lotus permet de maximiser la récupération d’eau de pluie et de diffuser de façon optimale la lumière dans l'entièreté du bâtiment. 

Cette architecture démontre la possibilité que peut offrir le biomimétisme et le biomorphisme dans l’architecture, face aux enjeux du futur, tel que l’accessibilité à la ressource, comme dans ce cas avec l’eau.

C’est dans la même optique d’offrir un meilleur confort de vie et accessibilité aux ressources dans le futur que Pierre Jean Giloux a décidé de réaliser son projet "Madurai".

Madurai

Dans ce projet, il propose une structure qui surplombe la ville de Madurai, en Inde. 

Inspirée en même temps de la termitière de Mike Pierce et des ombrières métalliques de Frei Otto, elle agit comme une canopée qui vient conférer des zones d’ombrages, récupérer la rosée du matin, mais également proposer des luminaires bioluminescents.

À travers cette intention, Pierre Jean Giloux souhaite concevoir une architecture réalisable, malgré sa dimension prospective. 

“Je parle de choses qui sont réalisables, mais non réalisées” Pierre Jean Giloux, 2024.


Pour la réaliser, il s'est appuyé sur des recherches scientifiques, notamment celles de chercheurs d'un laboratoire à Strasbourg. En particulier, il s'est inspiré de leurs travaux portant sur l'accentuation de la bioluminescence chez certaines plantes possédant cette caractéristique.

Il montre, à travers ses productions, que le biomimétisme est une solution à envisager, toutefois encore trop peu exploitée à l’heure actuelle. 

“Si l’on parvient à ne plus devoir produire d’électricité en ayant des arbres pour éclairer son chemin, c’est peut-être mieux.” Pierre Jean Giloux, 2024


De plus, il en souligne l’importance de la diversité par les supports qu'il illustre, les présentant ainsi comme une réponse possible à cette urgence. Pierre Jean Giloux confronte des propositions virtuelles, à la réalité de la recherche d’aujourd’hui.

“Il est important en 2024 d’agripper la virtualité à la réalité des choses et de les confronter, afin qu’un vrai dialogue entre les deux s’établisse" Pierre Jean Giloux, 2024

Madurai, Pierre Jean Giloux - Biomimetic stories (2024)

La matérialité architecturale

Un projet non réalisé mais réalisable

"Madurai" est un projet fictif mais réalisable, conçu par Pierre Jean Giloux, s’appuyant sur des recherches scientifiques et technologiques. Il s’agit d’une structure suspendue au-dessus de la ville, formant une canopée destinée à améliorer les conditions de vie des habitants.

Cette installation blanche est composée de panneaux courbés métalliques qui s’articulent pour créer des ombrelles, offrant ainsi une protection contre le soleil et la chaleur. Ces panneaux intelligents jouent également un rôle crucial dans la récupération de l’eau de la rosée matinale.

Madurai, Pierre Jean Giloux - Biomimetic stories (2024)

L’eau collectée est stockée dans des réservoirs intégrés à la structure. Les bactéries bioluminescentes présentes dans cette eau, transforme ce réservoir en une source d’éclairage naturel. Grâce à ce système, "Madurai" permet de générer un éclairage extérieur sans consommation d’énergie, optimisant ainsi les ressources disponibles.

Tout comme le Art Sciences museum de Singapour de Zairon, Pierre Jean Giloux s’est appuyé sur le biomorphisme et biomimétisme pour réaliser une architecture où la forme est inspirée de la nature, ainsi que de la capacité technique de certains végétaux à récupérer l’eau.

Les atouts du Biomimétisme

Le biomimétisme fait déjà partie de nos architectures actuelles et celle-ci nous offre de nouvelles perspectives architecturales. Pierre Jean Giloux s'est notamment inspirée des recherches de Mike Pearce sur les termitières qui ont abouti à la construction de l'Eastgate Center d'Harare situé au Zimbabwe. L'idée principale vient du fait que les termitières maintiennent une température intérieure stable, malgré les fortes variations de température extérieure. Dans cette architecture, Mike Pearce a retranscrit cette régulation de température par l'utilisation de béton, matériaux à forte inertie thermique (*), ainsi qu'un système de ventilation naturelle. En résumé, le biomimétisme inspiré des termitières a permis de créer un bâtiment éco énergétique, durable, et parfaitement adapté au climat local, sans recourir à des systèmes de climatisations énergivores.

(*) L'inertie thermique d'un matériau est sa capacité à stocker, à conserver puis à restituer la chaleur de manière diffuse.

Inspirations

Pierre Jean Giloux s'est aussi inspiré des recherches de Frei Otto pour imaginer ses ombrières métalliques.  

Il s’est largement inspiré du biomimétisme, en particulier des toiles d’araignée, dont il a étudié les propriétés. Ces structures naturelles se distinguent par leur répartition optimale des forces, leur grande résistance malgré leur finesse et leur capacité à s’adapter aux contraintes extérieures comme le vent, la tension ou les charges appliquées. En observant ces caractéristiques, Otto a conçu des édifices autoportants, flexibles et minimalistes en matériaux, tout en garantissant une solidité exceptionnelle. L’un de ses projets les plus emblématiques est le Parc olympique de Munich (1972). Inspiré par l’agencement des fils entrelacés dans une toile d’araignée, il a imaginé une toiture translucide et aérienne, s’étendant sur 74 800 m².

À travers ces différentes réalisations, qu’elles soient concrètes ou encore à l’état de concept, le biomimétisme prouve son immense potentiel en architecture. De l’Eastgate Center inspiré des termitières, aux structures légères de Frei Otto imitant les toiles d’araignée, en passant par le projet "Madurai" de Pierre Jean Giloux, cette approche ouvre la voie à des solutions novatrices et durables pour répondre aux enjeux urbains et environnementaux actuels ainsi que futurs.

Conclusion

"Madurai n’est pas une version optimiste de l’avenir, mais relève plutôt de la prospective et de la recherche, tendu vers un futur potentiel, sans réponse tangible. Il s’agit de donner à voir une possibilité de penser un futur."  

Pierre Jean Giloux (2024)

Ainsi, le biomimétisme représente une voie prometteuse pour l’architecture du futur. En s'inspirant des mécanismes de la nature, il offre une alternative viable aux défis climatiques et écologiques qui nous attendent. Des projets comme "Madurai" de Pierre Jean Giloux, tout en restant ancrés dans la prospective et la recherche, montrent qu’il est possible de concevoir des espaces urbains durables, intelligents et respectueux de l’environnement.

Toutefois, ces solutions, bien qu’inspirantes, nécessitent encore une maturation scientifique et technologique avant de devenir des réalités concrètes. Comme le souligne l’artiste, l’enjeu n’est pas seulement d’imaginer un avenir idéal, mais de confronter ces idées avec la réalité de la recherche actuelle et de pousser les limites de l’innovation.

Dès lors, l’avenir de l’architecture pourrait bien reposer sur cette alliance entre la nature et la science, pour imaginer des villes non seulement habitées par les humains, mais également en harmonie avec le vivant. Le biomimétisme n’est pas une utopie, mais une voie à explorer activement, pour que nos sociétés puissent coexister de manière plus équilibrée avec notre planète.

Quels futurs possibles ?

Même si le biomimétisme offre des solutions innovantes et prometteuses pour l’architecture du futur, il soulève également des questions éthiques. Alors que nous cherchons à imiter la nature afin de concevoir des bâtiments plus durables et respectueux de l’environnement, il est essentiel de réfléchir aux implications de cette approche. Jusqu'où pouvons-nous aller dans l'exploitation des ressources naturelles ? Comment concilier innovation et respect des écosystèmes existants ?

“Apprenez de la nature, vous y trouverez votre futur”

Carnets de Léonard de Vinci

Auteur / Autrice

Louis FLEURANCE - Auteur

Chloé MOREAU - Autrice

Anaïs BAYLE - Autrice

DSAA Design Rennes - Fabrique des Communs