Au-delà des images : le rôle du son dans Biomimetic Stories Quel est l’impact et l’influence du son sur la scénographie, les œuvres et les visiteurs par rapport à l’exposition ?

L’exposition Biomimetic Stories de Pierre Jean Giloux, présentée au centre d’art contemporain La Criée à Rennes, nous plonge dans un univers où la ville et la nature s’entrelacent. La science rencontre la fiction et nous plonge dans des problématiques dystopiques d’une réalité proche. À travers des œuvres mêlant images réelles et virtuelles, l’artiste explore les relations possibles entre biologie et technologie dans un futur marqué par les enjeux climatiques et urbanistiques.

Dans cette immersion multisensorielle, le son occupe une place essentielle. Il ne se contente pas d’accompagner les images, mais agit comme un élément structurant de l’expérience. Qu’il s’agisse de bruitages urbains captés in situ ou de compositions sonores, l’environnement auditif façonne notre perception et nos émotions tout au long de la visite. Ce billet propose d’analyser l’impact du son dans l’exposition sous quatre approches. 

Dans un premier temps, cet article explora les sonorités progressives qui nous immergent au sein de l’exposition, notamment à travers l’interaction entre le son et l’image. Il analysera ensuite la structuration technique de l’architecture sonore, en mettant en lumière la diversité des typologies sonores et leurs effets. Le troisième point s’intéressera à la relation entre l’image et le son, ainsi qu’aux réactions qu’elle suscite. Enfin, le dernier point abordera le rôle essentiel du son dans l’expérience immersive, en montrant comment il enrichit la narration et amplifie la portée des thématiques abordées à travers une visite et des ressentis.

Plan de la salle d'exposition

Une immersion sonore progressive

Accueil et premiers sons perçus

L’immersion sonore commence dès l’entrée de la Criée. Des vagues sonores viennent progressivement nous envelopper. Le brouhaha de voix retentissant crée un mouvement de va-et-vient rythmique qui nous entraîne naturellement vers l’intérieur de la salle. Le son sert de guide invisible, nous incitant à franchir le seuil de l’exposition. 

À mesure que l’on progresse dans le hall d’entrée, l’ambiance sonore évolue. La houle s’estompe petit à petit. Une marée orchestrale continue prend le relais et nous amène vers la cacophonie de la salle principale. On se laisse progressivement porter jusqu’à une rive incertaine, où l’environnement sonore est dense, vibrant, chaud et étouffant. Nous sommes comme des naufragés, dérivant sur une ile à l’horizon paradoxal qu’évoque l’exposition Biomimetic Stories. 

Parcours sonore à travers les différentes salles

Dès l’entrée, l’espace s’ouvre largement devant nous. Aucune trajectoire imposée, aucune direction forcée : la déambulation est libre, fluide, instinctive. Seule la traversée du seuil impose un premier mouvement, nous guidant naturellement vers l’écran suspendu au-dessus de la deuxième salle. Là, le paysage sonore prend vie. Des stridences urbaines éclatent, des résonances métalliques s’entrechoquent, des fragments de conversations lointaines tissent un premier fil conducteur.

Plus loin, les sons se croisent et se répondent. L’absence de cloisons, hormis le mur séparant l’entrée, permet aux ambiances sonores de dialoguer les unes avec les autres, créant une trame immersive et organique. Comme des échos qui ricochent d’un espace à l’autre, les ambiances se superposent, se prolongent, se transforment. Le son devient guide, tisseur d’histoires et d’interactions. Il structure la visite sans jamais l’enfermer, reliant chaque œuvre à l’ensemble du parcours. Ici, l’espace n’est pas seulement visité, il est traversé par une narration sonore mouvante, qui nous enveloppe et nous oriente tout au long de l’exposition Biomimetic Stories.

Cette approche contraste avec celle de À quelques pas du monde au Palais Garnier, où le son, enfermé dans des casques audio, crée une distance entre l’espace et l’écoute. Là où cette dernière individualise le rapport au son, Biomimetic Stories propose une immersion collective, où l’environnement sonore façonne l’espace et influence directement la perception du visiteur.

Association du son aux œuvres : correspondances audio-visuelles

Le son et les œuvres sont intrinsèquement liés, tissant une narration qui guide les visiteurs. Les trois créations offrent des visions distinctes :

Avec Pirana Dump Yard, l’utopie disparaît. Ce film capté sur le vif dévoile une décharge en feu, où des vies survivent au pied d’une montagne de déchets. À Dholera, la smart city inachevée devient un chantier fantôme accentué par une ambiance sonore pesante et énigmatique. Les ruines du futur fissurent l’idéal. Dans Madurai, Pierre Jean Giloux imagine un quartier biomimétique, inspiré des termitières et des recherches de Frei Otto. Des ombrières métalliques captent la rosée et diffusent une lumière bioluminescente : une utopie en gemmation.

Si la typologie des récits varie, un fil rouge demeure : l’omniprésence et l’importance de la nature dans une vision future du monde. Le son, en écho à cette thématique, enrichit la narration et tisse un lien subtil entre les œuvres. 

Architecture du son : entre technique et perception

Le tableau est divisé en trois catégories distinctes afin de comprendre correctement les typologies de sons qui participent activement à l'exposition.

Typologie des sons : ambiances urbaines, bruitages, musiques
Type de sonRessenti “personnel”Analyse
Voix SuperposéeVague sonore qui crée un brouhaha.Invitation à se laisser porter par l’exposition. Il nous amène vers la thématique de l’exposition.
Bruits de rue vivanteVague sonore qui crée un brouhaha. Imposant et potentiellement éprouvant, intimidant.C’est pour interpeller et animer le film ainsi que contraster avec les avancées technologiques présentées par la suite.
Bruits blancs et sons d’ambianceTrès doux et rassurant (surtout après des bruits de rue), il y a une forme d’apaisement.Tout comme les bruits de rue, ceux-ci contrastent également, c’est toujours une manière de signifier la rupture entre deux mondes.
Gouttes d’eau (Maduraï)Elles apportent un calme et une douceur mais peuvent aussi être angoissantes car le son est uniquement celui ci.Elles sont une illustration de la technique, elles viennent valider les images et appuyer le propos comme quoi le projet pourrait être une solution.
Bruits de sable qui vole, de vent (Dholera)On ressent directement l’impression de grandeur et d’un espace vaste, ce son appuie directement l’image qui l’accompagne.Pour appuyer encore une fois le film et l’espace immense laissé à l’abandon.

Volume et variations selon les espaces

La salle est divisée en trois espaces distincts. Le premier est l’entrée, où une bande sonore est diffusée par trois enceintes fixées au plafond. Ce dispositif instaure une mise en contexte dès l’arrivée, avant même la découverte des images, renforçant ainsi le rôle central du son dans l’exposition.

Dans la salle principale, quatre enceintes diffusent les paysages sonores des trois films présentés. L’entrelacement de ces différentes ambiances sonores crée une immersion totale, plongeant le visiteur au cœur des œuvres.

Positionnement des enceintes et spatialisation du son

Il n’y a pas de véritable variation de volume sonore ; celui-ci reste constant. Cependant, au fil de la progression des films, les sons évoluent, donnant parfois l’impression qu’une partie d’un film ressort davantage, simplement en raison de son avancée.  

Par ailleurs, la bande sonore elle-même varie au sein des films. Il est ainsi possible de passer d’un bruit de rue imposant à un simple bruit de gouttes d’eau ou à un bruit blanc, comme c’est le cas dans Maduraï, par exemple.

Schéma de diffusion du son dans l'entrée

Schéma de diffusion du son dans la salle principale

Quand le son dialogue avec l’image : émotions et perceptions

Impact émotionnel du son sur le spectateur

Suite à un questionnaire, il a été possible pour nous de récupérer des témoignages en rapport avec la visite de l’exposition. Ce questionnaire était tourné notamment vers la question du son.

Le son, bien plus qu’un simple accompagnement, agit comme un véritable amplificateur d’émotions. En modulant l’ambiance, il peut susciter des sentiments aussi contrastés que l’angoisse, la douceur ou encore l’émerveillement. Plusieurs visiteurs ont rapporté une sensation de malaise, provoquée par les bruits stridents et les ambiances oppressantes de certaines séquences. « Au début, j’ai été perturbé, puis ça m’a immergé totalement dans l’œuvre », témoigne l’un d’eux. Cette dynamique émotionnelle illustre comment le son conditionne notre ressenti et nous engage dans une expérience sensorielle forte.

L’exposition Biomimetic Stories joue sur ces variations pour renforcer l’impact de ses thématiques dystopiques. L’opposition entre les bruits urbains agressifs et les sons plus doux, comme des gouttes d’eau dans Maduraï, crée des contrastes marquants qui guident inconsciemment notre perception des œuvres. Cela nous pousse à nous à avoir une pensée engagée et développer une réflexion autour de l’importance de la nature au sein des futures innovations. Ce procédé rappelle l’expérience immersive Habitat Sonore au Centre PHI à Montréal, où l’obscurité et la spatialisation du son influencent profondément la réception émotionnelle du spectateur.

Quelles émotions avez-vous ressenties en écoutant les sons ?

« Souvent de l'angoisse dû aux bruits des voitures, l'impression d'être étouffé par le monde dans les rues, le bruit des transports... »

Un·e visteur·ice de l'exposition

« Au début, j'ai été perturbé puis ça m’a immergé dans le film. »

Un·e visteur·ice de l'exposition

« De l'angoisse. »

Un·e visteur·ice de l'exposition

Interaction entre le son et l’image : complémentarité ou dissonance ?

L’association entre le son et l’image peut être fluide, créant une harmonie immersive, ou volontairement dissonante, renforçant un sentiment d’inconfort. Dans Pirana Dump Yard, par exemple, les sons de crissements métalliques et de flammes créent un climat oppressant, accentuant la dureté des images d’une décharge en feu. À l’inverse, dans Maduraï, le bruit délicat de l’eau qui s’égoutte renforce l’idée d’un futur biomimétique et apaisant. Cette utilisation contrastée du son permet une immersion totale tout en mettant en relief les tensions et les espoirs véhiculés par l’exposition.

Cette approche rappelle l’expérience Play a Kandinsky au Centre Pompidou, qui explore les liens entre son et couleur. Certaines personnes atteintes de synesthésie associent des sons à des nuances visuelles, illustrant ainsi comment le son peut intensifier la perception d’une image au-delà de sa simple représentation graphique. Dans Biomimetic Stories, cette complémentarité est poussée à l’extrême, chaque ambiance sonore venant redéfinir notre regard sur les images projetées.

Émotions suscitées : immersion, nostalgie, inquiétude

Le son agit comme un activateur de mémoire et d’émotion. L’exposition exploite cette dimension pour évoquer autant une nostalgie d’un monde passé, qu’une inquiétude face à un avenir incertain. Certains visiteurs ont ainsi décrit leur ressenti comme « oppressant », tandis que d’autres ont souligné l’apaisement procuré par certaines séquences plus contemplatives. « Le son m’a permis de me concentrer plus facilement sur les images, et d’être pleinement dans l’instant », explique un spectateur.

Cette capacité du son à moduler notre perception se retrouve également dans des installations telles que Stone Speakers – Les bruits de la terre au Palais de Tokyo. Ce projet immersif utilise des enregistrements de sons volcaniques pour provoquer une réaction physique et sensorielle chez le spectateur. De la même manière, Biomimetic Stories joue sur l’équilibre entre familiarité et étrangeté, transportant le visiteur entre des ambiances rassurantes et des sonorités inquiétantes. Cette alternance permet de maintenir une tension dramatique et d’impliquer activement le spectateur dans la narration sonore et visuelle de l’exposition.

Le son, un vecteur essentiel de l'expérience immersive

Synthèse de l’expérience sonore

Le son ne se limite pas à un simple fond auditif dans Biomimetic Stories : il est un élément structurant qui donne vie aux images et renforce le message artistique. Il agit comme un vecteur d’émotions, permettant aux spectateurs d’être plongés dans des univers contrastés où l’urbanisation, la technologie et la nature dialoguent de manière dynamique. En se superposant aux images, le son génère un espace immersif dans lequel chaque nuance sonore enrichit la perception du spectateur.

Cette approche immersive du son s’inscrit dans la continuité d’expériences artistiques comme À quelques pas du monde au Palais Garnier, où l’audio spatialisé guide le visiteur à travers un voyage sensoriel. Dans Biomimetic Stories, cette influence est plus subtile, évoluant avec les œuvres et modulant les ressentis de chacun.

Réflexions sur l’apport du son dans la narration artistique

Le son joue un rôle essentiel dans la narration artistique, en instaurant une atmosphère et en orientant la lecture des œuvres. Son influence va au-delà du simple accompagnement visuel : il sert de repère spatial et émotionnel, amplifiant les thématiques développées par Pierre-Jean Giloux. La manière dont les sons se chevauchent ou se confrontent au sein de l’exposition évoque un dialogue constant entre l’humain et son environnement, entre passé et futur.

Dans ce contexte, la spatialisation du son devient un outil clé. Son positionnement dans l’espace influence directement la perception du spectateur et la façon dont il se déplace dans l’exposition. Cette structuration rappelle des dispositifs sonores architecturaux comme ceux expérimentés lors de la Biennale Son en Suisse, où le son est pensé comme une extension de l’espace et non comme un simple élément ajouté.

Le futur sonore ?

L’exposition Biomimetic Stories illustre avec justesse comment le son façonne l’expérience artistique, en agissant comme un moteur d’immersion et d’interaction sensorielle. En modulant l’atmosphère, il guide le spectateur dans une réflexion sur notre monde et son avenir. Ce rôle central du son dans l’art contemporain ouvre de nouvelles perspectives : comment les paysages sonores évolueront-ils dans les expositions futures ? Pourra-t-on, un jour, vivre des œuvres exclusivement à travers le son ? Ces questionnements invitent à repenser l’art sonore comme une expérience à part entière, au-delà de sa simple fonction illustrative.

Définitions

1. Ensemble des sons produits par des vibrations plus ou moins irrégulières ; tout phénomène perceptible par l'ouïe.

2. Ensemble des sons perçus comme étant sans harmonie, par opposition à la musique. / Synonymes : boucan (familier) - chahut (familier) - tapage - tohu-bohu - vacarme

3. Son imprévu qui vient se superposer au rythme continu de quelque chose, d'un appareil.

4. Nouvelle ou opinion répandues dans le public, retentissement public d'un événement. / Synonymes : bobard (familier) - cancan - commérage - on-dit - potin (familier) - racontar (familier) - ragot (familier) - rumeur

Source: Larousse en ligne : Bruit (lien externe)

1. Sensation auditive engendrée par une onde acoustique.

2. Toute vibration acoustique considérée du point de vue des sensations auditives ainsi créées : Son strident.

3. Volume, intensité sonore d'un appareil : Baisser le son.

4. Ensemble des techniques d'enregistrement et de reproduction des sons, en particulier au cinéma, à la radio, à la télévision: Ingénieur du son.

Source: Larousse en ligne : Son (lien externe)

1. L’environnement sonore regroupe tous les sons qui nous entourent, quelles que soient leur source et leur intensité, du simple « bonjour » au klaxon.

Source: www.acoucite.org (lien externe)

2. L’environnement sonore n’est pas à confondre avec le paysage sonore. L'environnement sonore constitue une manière objective d'envisager les sons et les bruits, au contraire du paysage sonore qui constitue une manière subjective d'envisager les sons et les bruits.

Source: vitrinelinguistique (lien externe)

Lola RIO & Luce MARCHAL, DSAA1 Graphisme.