L’intime constitue l’essence d’un individu, et se rattache à tout ce qu’il y a de plus personnel en lui. Généralement, cet aspect reste de l’ordre du privé et est préservé des curiosités indiscrètes. Dans son exposition The Sun Is My Only Ally présentée à la Criée, l’artiste Charbel-Joseph H. Boutros prend cette notion à contrepied en nous dévoilant plusieurs de ses aspects.
L’intime de l’artiste
Ses origines
À travers les œuvres présentées, l’artiste nous livre d’abord son propre intime, en mettant en avant une partie de son histoire. Né au Liban en 1981 dans une région chrétienne à une époque de tension au sein du pays, l’artiste a vécu dans un contexte marquant, frappé par la dureté de la réalité. Aujourd’hui, l’artiste vit entre Beyrouth et Paris, et ses origines font partie intégrante de ses œuvres. Plusieurs lieux du Liban marquant sa vie se retrouvent dans le contexte de certaines œuvres. Nous pouvons citer notamment le Mont Liban, où à été tournée la vidéo « NO LIGHT IN WHITE LIGHT », dans laquelle un prêtre syriaque lit la Genèse en araméen. Ce rapport fort à la religion est aussi lié au contexte dans lequel a grandi l’artiste, et se retrouve également dans certains des matériaux utilisés, comme la cire qui provient de cierges du Mont Liban où sa mère se rend souvent pour prier.
Ses proches
À travers son exposition, Charbel-Joseph H. Boutros entretient un lien familial fort. Ses œuvres, en plus d’être ancrées dans ses origines, mettent en avant ses proches à travers différentes œuvres. Nous pouvons ainsi retrouver un aspect intime et brut que l’artiste retranscrit à travers son exposition. À travers l’œuvre « Life Variation #3, The Marble, The Ring and The Continents », le spectateur peut observer un anneau brisé en cinq morceaux répartis sur cinq stèles de granit. Cet anneau est celui d’une ancienne union entre l’artiste et sa femme. Cette œuvre reflète l’intime d’un amour brisé, que Charbel Boutros expose à la vue de tous. L’artiste met également sa famille en avant à travers cette exposition, tel que le lien intergénérationnel qui le lie à son père et son grand-père, comme nous pouvons l’observer avec « Three Abstractions on Three Histories ». Cette œuvre témoigne de trois histoires étroitement mêlées par le lien intime qui les unis. Il ne retranscrit pas seulement ce lien familial fort à travers des œuvres, mais aussi à travers la matérialité de certaines œuvres. La présence de cire à travers la composition de certaines œuvres n’est pas anodine, cette cire témoigne d’un lien fort entre Charbel Boutros et sa mère. Cette cire est récoltée dans une église dans laquelle sa mère est coutumière d’aller. L’artiste met également en avant ses relations amicales et professionnelles.
À travers l’œuvre « Amitié » Joseph Boutros met en avant l’amitié en séparant une paire de chaussure afin que son ami et lui puissent les porter à deux extrémités du monde, avant de les assembler. Cette œuvre réfère à un lien intime qui unit les deux amis. Une œuvre possédant également un rapport fort à l’intime et à ses proches est « The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » qui fait référence à la conception d’un mausolée pour le galeriste, évoquant ce lien intime fort que l’homme à a la mort.
Sa vie quotidienne
Charbel-Joseph H Boutros met certes ses proches en avant à travers ses œuvres, mais celui-ci partage également une partie de son intimité en dévoilant des brides de sa vie quotidienne. À travers l’exposition « The Sun Is My Only Ally » différentes œuvres témoignent de sa vie quotidienne, nous rendant spectateur de sa vie privée. Nous pouvons dans un premier temps observer la vie de Joseph Boutros à travers l’œuvre « Mon Amour » celle-ci est constituée de deux tickets de caisse formant un acrostiche, sur lequel il est écrit “Mon Amour”. Nous pouvons à travers cette œuvre entrer dans l’intimité de la vie quotidienne de l’artiste en observant sa liste de course, le magasin dans lequel celui-ci fait ses courses, la date, l’heure, etc.
Dans une autre œuvre de Joseph Boutros « If Close To Sun A Drop May Fall », nous sommes spectateurs d’un souvenir de l’artiste. Cette œuvre est composée de bobines de cassette que celui-ci a écouté il y a plusieurs années. Ces cassettes ont été fichées dans la cire, tel un souvenir figé dans le temps. L’artiste utilise alors ses propres cassettes lui rappelant un souvenir intime qu’il expose par la suite à la vue de tous. Joseph Boutros expose alors à travers son exposition des expériences et souvenirs intimes de différents degrés. Nous pouvons par exemple voir qu’avec l’œuvre « Life Variation » que l’artiste partage à travers une œuvre la forme d’une pastèque qu’il a mangée, laissant pour seul souvenir de son existence une forme dans le béton ainsi que trois pépins. Ces œuvres témoins de sa vie quotidienne touchent des degrés d’estimation variables pouvant aller de très à moins intime.
Nous pouvons également citer des œuvres qui, contrairement aux autres, représentent l’intime de l’artiste sur une période plus conséquente. Il s’agit des œuvres « Untouched Marble » et « Amitié » qui sont représentées par un cube de marbre et une chaussure. Ces deux objets ont accompagné l’artiste durant de nombreuses semaines. Pour le cube de marbre, celui-ci n’ayant jamais été touché, accompagna Joseph Boutros au quotidien, rentrant dans l’intimité de celui-ci, comme pour les chaussures qui furent portées durant six mois, accompagnant l’artiste dans tous ses déplacements et s’inscrivant dans l’intimité de celui-ci. Joseph Boutros met alors en avant dans son exposition une partie de son intimité qu’il expose à la vue de tous.
L’intime des autres
Relation avec le public
Charbel-joseph H.Boutros tend à instaurer un lien sensible et intime avec son public. « The Exhibition Between Us » (2019-2022) introduit cette exposition. Cette œuvre, composée de deux dalles en granit, est entièrement dédiée aux spectateurs, témoignant de leur visite et offrant une place particulière à deux d’entre eux. Sur chacune de ces pierres est respectivement gravé le prénom du premier et du dernier visiteur.
Durant l’exposition, Charbel-joseph H.Boutros a également organisé un concert de guitare à La Criée. L’artiste libanais convié devait jouer avec un instrument, jamais servi auparavant, comme s’il s’agissait de sa dernière représentation. La guitare, utilisée, sera exposée à l’occasion de sa prochaine exposition au Portugal. Seul le public ayant eu le privilège de participer à cet événement aura connaissance de ce vécu et entretiendra ainsi un lien intime avec l’œuvre. L’artiste souhaite en ce sens créer des connexions entre ses différentes expositions et développer avec ses visiteurs une relation singulière.
Dévoiler l’intime des autres
En outre, Charbel-joseph H.Boutros souhaite dévoiler l’intime des autres et en particulier celui du personnel d’exposition. Durant l’exposition, l’artiste invite le personnel de La Criée à repenser ses déplacements. Ceux-ci doivent alors uniquement emprunter une plateforme : le « Catwalk » (2019-2022). Placés en hauteur, les médiateurs défilent comme sur un podium pour communiquer avec les visiteurs. La relation habituelle avec le public en est alors bouleversée et le rapport à leur propre intimité bousculé. Dans une petite pièce, intitulée “Salle sommeil”, est placé un lit à même le sol, recouvert d’une couverture et d’un oreiller blanc. Entre œuvre et objet du quotidien, cet espace est mis à disposition pour la commissaire d’exposition ou le régisseur de La Criée pour qu’ils puissent s’y reposer. L’espace où se forgent les rêves est ainsi dévoilé à tous les visiteurs et rentrent d’une certaine manière dans l’intimité de ses usagers.
« The Booth, The Gallerist and The Mausoleum » (2021) dévoile un projet de mausolée contractualisé avec le galeriste Umer Butt. Ce monument funéraire rassemble principalement les proches de l’individu pour s’y recueillir et donc partager un moment intime par la pensée. La maquette est recouverte de cire fondue, récupérée par sa mère dans les églises du mont Liban. Chargées des souhaits des autres, ce matériau est riche de l’intime des autres.
Salomé Vanneste-Bendelé, Laura Gaydon, Emma Duval