Le vivant : Elvia Teotski questionne cette notion sous ses différents aspects au sein d’une exposition intitulée « Molusma ».
Du grec, « tâche », « souillure » le terme fut proposé dans les années 1960 par le biologiste marin Maurice Fontaine afin de désigner l’ère géologique actuelle, marquée par la production des déchets. Cependant, le terme fut délaissé en faveur de la notion d’anthropocène. Elvia Teotski cherche donc à rendre compte de l’impact qu’entraîne la production de déchets en faisant intervenir le vivant, principal acteur dans ce processus. Pour illustrer la notion de « vivant », Elvia Teotski introduit des vivant d’ordre végétal, animal mais aussi alimentaire. Tous ces vivant aux rythmes de vie divers, entraînent, de ce fait, des conséquences observables modifiant la perception de l’exposition dans le temps et l’espace. Les réalisations d’Elvia Teotski aux tons marrons et verts contrastent avec la pièce d’un blanc éclatant dans laquelle ils sont exposés.
Plusieurs espèces, macroscopiques comme microscopiques, habitent l’exposition Molusma. A commencer par les criquets. Initialement au nombre de 400, ces derniers ont été récupérés dans des élevages leur étant réservés. Ils ont été choisis par Elvia Teotski, comme point d’accroche à la thématique qu’explore l’artiste : l’agriculture intensive. En ce sens, riches en protéine, ils représentent une alternative (notamment pour les cultures asiatiques) à ces méthodes de production irraisonnées. Les conditions de l’exposition ont alors été repensées en leur faveur : augmentation de la température, installation de voilage à l’entrée et apport régulier de nourriture (pommes et salades) en provenance du marché de la Criée. Aussi, les criquets peuvent se déplacer librement dans toute l’exposition. Les visiteurs les trouveront plus particulièrement sur les différentes voûtes construites par l’artiste. Celles-ci sont composées de terre, de Marseille ou de Bretagne, et d’algues. La terre abrite de nombreux micro-organismes, qui interagissent avec le milieu, tandis que les algues sont à elles-seules des organismes vivants. La cohabitation entre ces deux éléments n’est pas anodine. Elle illustre la trace humaine et conte l’histoire de l’agriculture intensive. Cette dernière prend racine dans la terre et s’immisce par infiltration dans les nappes phréatiques, puis dans la mer. On observe alors une prolifération d’algues vertes, sur les plages.
L’exposition Molusma, donc richement habitée, a depuis son ouverture fortement évolué. Parmi les 400 criquets à l’origine introduits dans cet écosystème, plus des 3⁄4 sont morts. Il est néanmoins possible de voir les plus résistants se déplacer et se nourrir. Pommes et salades sont quotidiennement grignotées, même si, fréquemment remplacées. Le papier azyme et les encres alimentaires de Sans fin font aussi le bonheur gustatif de ces insectes. En outre, les feuilles de cette production sont altérées par l’humidité. Ce climat constitue un élément clef de l’exposition et notamment de l’œuvre expérimentale, Le reste des vagues, sur laquelle apparait au cours du temps de la moisissure. ll participe en sus à l’évolution des voûtes. Celles-ci s’effritent et se craquellent, également à force d’être escalader et traverser par les criquets. Chaque structure présente alors une trace du temps différente qui dépend aussi de sa terre d’origine (Marseille ou Bretagne). Une fine poudre au sol témoigne de ce phénomène.
Vous l’aurez donc compris, si vous vous êtes rendu à cette exposition dès le 25 septembre, vous n’avez sûrement pas vu la même chose que quelqu’un qui y est allé trois semaines après. L’exposition d’Elvia Teotski est une exposition évolutive au fil des jours, on peut même la qualifier d’éphémère. Les êtres vivants y naissent, se développent, y meurent, nous pouvons voir leur cycle de vie, là, ici, à La Criée. De plus, les criquets ont un rôle important dans l’exposition, pour la plupart, ils permettent de trouver des réponses dans l’intuitif, l’erreur, le hasard ou encore l’insoupçonné face aux différents phénomènes qui sont générés pendant l’exposition en raison de différents facteurs (humidité, moisissure).
Plusieurs autres expositions ont eu lieu, avec l’envie de faire apparaître du vivant et mettre en lumière les innombrables cycles de la matière vivante. Parmi elles, nous pouvons citer: Times in collapse de Nicolas Lamas, 23.01.20 – 29.08.21, CCCOD Tours, La fabrique du vivant, 20.02.19 – 15.04.19, Centre Pompidou, Paris, Toiles d’araignées, Tomás Saraceno, 17.10.18 – 06.01.19, Palais de Tokyo, Paris. Pour les curieux, l’exposition Vivants parmi le vivant, est visible actuellement à la Cité des sciences et de l’industrie, Paris.
De Salomé Vanneste-Bendelé, Tuanga Eden Wankana et Solène Hémart