Les organisations de scénographies muséales : exemples à La Criée

Dans cet article, nous nous interrogerons sur plusieurs définitions afin de comprendre les multiples organisations de scénographie, à travers La Criée, le « White Cube » ainsi que l’exposition « Mime » de Mathis Collins. Afin de mieux comprendre les scénographies, nous vous expliquons comment le « White Cube » intervient dans cette mise en scène. À travers le « White Cube » du centre d’art de la Criée, comment s’appliquent différentes scénographies muséales ?  Dans un premier temps pour introduire le thème, nous abordons les définitions de scénographie, de commissaires d’expositions et du « White Cube ». Puis, nous expliquons plus précisément le lieu de la Criée à travers le « White Cube » et comment a-t-il été appliqué à l’exposition « Mime ». Et pour finir nous présentons différentes organisations de scénographies existantes et qui ont été appliquées au centre d’art de la Criée avec l’aide des commissaires d’expositions.

Scénographie :

La scénographie, du grec “scène” et “écrire” désigne aujourd’hui l’étude de l’art de la scène par des moyens techniques de mouvements ordonnés et scéniques. C’est l’art de concevoir et de mettre en forme l’espace propice à la représentation d’une œuvre, d’un objet, d’un événement.

Cette mise en espace peut se traduire par la fabrication des différents éléments de muséographie tels que des podiums, des banquettes, des tables, du mobilier, des vitrines, des trottoirs, des socles, des velums, des décors, des signalétiques, des supports accrochés sur cimaise. Différentes mises en lumière peuvent être intégrées dans l’espace avec des éclairages : focalisée, frontale, libéral, 3 côtés ou encore en contre plongée. Il existe plusieurs types d’expositions : des expositions permanentes, temporaires ou itinérantes. Elles sont soumises à des contraintes de normes et d’accessibilité PMR. 

Commissaire d’exposition : 

Au sein de la Criée c’est un commissaire d’exposition qui échange avec l’artiste pour déterminer l’organisation de l’exposition. Un commissaire d’exposition est une personne qui conçoit une exposition (artistique, historique, scientifique, etc.) et en organise la réalisation. Ainsi, il détermine le choix des pièces présentées, la problématique ou la thématique de l’exposition. Il choisit, en collaborant avec l’artiste, la mise en scène des œuvres dans le lieu accueillant le projet. Et leur restitution auprès des publics sous toutes formes de diffusion.

« White Cube » : 

L’espace d’exposition de la Criée se définit sous la forme d’un “White Cube”. C’est un type d’espace d’exposition, un “dispositif scénique” qui a la forme d’une grande enceinte aux murs blancs, généralement refermée sur elle-même par l’absence de fenêtres. Le « White Cube » contient une installation de système d’éclairage homogène provenant du plafond. Il est fréquemment composé de néons blancs faisant écho à la couleur des murs. Apparu dans les années 1970, il vise, par sa propreté et sa neutralité, à supprimer tout contexte autour de l’art que l’on y montre. Il est aujourd’hui considéré par les galeries et les musées comme l’espace d’exposition par excellence. Ce qui ne va pas sans susciter des critiques. En s’apparentant à un laboratoire aseptisé, il participerait à isoler et stériliser l’art contemporain. Ce modèle s’est imposé comme une norme tacite influençant la production en arts visuels. 

Explication du système et influence :

Les institutions artistiques ont adopté ce modèle, le « White Cube », dont l’objectif est d’assurer la médiation des œuvres comme faisant partie du modèle. Ce modèle est un espace-temps, et toutes les informations qui peuvent y contribuer en conditionnant l’appréhension esthétique, la lecture de l’espace et l’interprétation au sens large, sont à inclure dans la définition même du modèle. Ses fonctions sont de créer des liens entre les spectateurs et les artistes, de définir une logique politique et institutionnelle cohérente et de proposer un espace-temps pour la réception des œuvres. Par conséquent l’objectif sous-jacent du « White Cube » est d’être un lieu prétendument atemporel accueillant des œuvres destinées à devenir atemporelles, sa fonction est méliorative et résulte d’une “artialisation” en marquant une césure entre le quotidien et le temps de l’appréhension esthétique.

Le « White Cube » représente l’espace temps qui sert d’intermédiaire. Il n’est ni totalement dans le Chronos, ni totalement dans l’Aiôn. D’après le Chronos, seul le présent existe dans le temps. Le présent est la quotidienneté ou la temporalité de l’atelier de l’artiste. Mais dès qu’une œuvre est exposée, elle change de nature par la médiation qui génère un espace-temps spécifique : celui du « White Cube ». Dès l’instant où l’œuvre franchit le seuil de la galerie et où elle y est accrochée un autre regard est posé sur elle. D’après l’Aiôn, seul le passé et le futur insistent ou subsistent dans le temps. A l’inverse, l’Aiôn seul ne permet pas de changement paradigmatique et il maintient ses propres paramètres jusqu’à être pétrifié. Il rend le langage possible, le langage de l’œuvre ne peut être saisi qu’en rapport à un passé-futur car le pur présent ne fournit pas d’unité de mesure stable. L’œuvre d’art nait alors de cette tension entre Chronos et Aiôn.

C’est-à-dire, s’il n’est pas totalement dans le Chronos c’est parce que ses fenêtres sont condamnées, ce qui réduit son espace temps a une bulle hors du temps. Et qu’il n’entretient qu’un rapport indirect avec le monde extérieur, dans la mesure où il représente des productions artistiques plus qu’il ne les présente. Et il n’est pas totalement dans l’Aiôn, parce que son aspect clinique est sans cesse compensé par la visite de spectateurs, le « White Cube » et les œuvres, qui lui permettent d’exister comme modèle.

Par exemple, lorsqu’un spectateur entre dans une galerie d’art contemporain, il s’attend consciemment ou inconsciemment à ce que les murs soient blanc mat et que l’éclairage soit homogène. Dans le cas contraire, il aura tendance à considérer qu’il s’agit d’un dispositif scénique plus informel et ceci conditionnera son appréhension esthétique. 

C’est le contact présent qui s’établit entre l’artiste, le « White Cube » et les œuvres, puis entre les spectateurs, le « White Cube » et les œuvres, qui lui permet d’exister comme modèle.

« White Cube » au sein de la Criée :

Ce « White Cube » perturbe face à son environnement architectural extérieur. L’espace est blanc et efface les caractéristiques architecturales du lieux existant ainsi que son histoire, son patrimoine. La charpente visible par la grande hauteur sous plafond, a été repeinte en blanc. Les fenêtres ont toutes été condamnées, seule la porte d’entrée et la sortie de secours / accès PMR sont ouvertes et laissent entrer la lumière. À l’intérieur, l’espace a été aménagé de façon à retrouver une grande pièce rectangulaire et une petite pièce cloisonnée liée par une ouverture. Aucun autre élément ne parasite cet espace blanc. Le mur est lisse, uniforme, aucune brique n’est visible à travers le blanc. Des néons blancs sont accrochés à la charpente devenue invisible.

Scénographie de « Mime » :

Pour la scénographie de Mime, le choix de Mathis Collins était d’accrocher ses productions sur chaque mur et laisser un espace vacant au centre. Une volonté de ne pas produire d’avantage et d’exposer ses 15 tableaux sur une palissade de rue. L’artiste ne souhaitait pas occuper le sol ni le plafond, pour garder l’esprit de l’art de rue. Afin que les visiteurs puissent observer les œuvres de loin comme de près sans être perturbés par d’autres éléments. Il souhaitait un affichage classique avec des œuvres éloignées les unes des autres afin de les mettre en valeur. Il voulait poser et retirer ses œuvres de la même façon que l’on change un décor de théâtre. Dans le but d’évoquer l’esprit de la fête foraine, du stand de tir, les tableaux sont tous placés à hauteur des yeux. Toutes ces productions sont perceptibles sur une ligne d’horizon.

En effet, les œuvres ne possèdent aucun cartel, un choix longuement discuté entre Mathis Collins et les commissaires, mais l’artiste ne voulait qu’aucun texte n’interfère avec ses œuvres, elles parlent d’elles-mêmes. Étant musicien, la question des audios pour accompagner ses œuvres s’est posée. Dans l’optique de masquer le bruit des moteurs de l’un de ses triptyques en composant une petite musique digne des fêtes foraines pour plonger les visiteurs dans son univers. Sachant que la mise en scène principale est celle du théâtre de rue, par définition faire ce que l’on peut avec ce que l’on a, afficher et coller, sans rajouter d’artifices autour de ses œuvres. Il n’y avait aucunement l’idée de faire spectacle.

Le spectateur peut apercevoir la différence entre les deux salles : la salle centrale et la petite salle distinguant les travaux du père et du fils Collins. Afin de respecter le travail du père comme celui du fils, les commissaires du centre d’art ont choisi de séparer les deux artistes. Le contraste est trop présent entre les productions. L’histoire racontée est toute aussi différente : l’usage de triptyque et de la couleur pour le fils et l’usage du noir et du blanc en tableau unique pour le père.

Mathis Collins a voulu faire reconnaître le travail de son père en décloisonnant les arts et montrer deux pratiques distinguées. Paul Collins fut invité afin d’aborder l’histoire du théâtre de rue et de l’artisanat, transmettre l’art populaire en passant par la question de transmission, un fil conducteur entre les artistes. Une seule peinture incarne la collaboration et lie les deux artistes,  qui est visible depuis les deux salles, situé en face de l’ouverture de la petite salle, où Mathis est intervenu sur une peinture de son père par une touche de couleur et la représentation d’un mime.

 

Différentes scénographies possible au sein de la Criée :

-- Scénographie qui inclut du mobilier d’exposition :

Intégration dans l’espace de modules telles que des vitrines, des cloches ou des niches avec des feuillures ou non. Cette mise en œuvre permet aux visiteurs de pouvoir s’approcher des œuvres sans les abîmer tout en leur donnant un côté précieux.

 

Exposition « Les Horizons » – 14/03/2013 – 11/05/2014 – Scoli Acosta, Francis Alÿs, Taysir Batniji, Julien Berthier, Blaise Drummond, Larissa Fassler, Les Frères Ripoulain, Ann Veronica Janssens, Bertrand Lamarche et Józef Robakowski

Un espace blanc avec une vitrine disposée sur le côté qui permet de visualiser des œuvres.

Exposition “Household temple yard” – 25/09/2014 – 30/11/2014 – Gareth Moore 

Un espace avec des objets et des sculptures posés sur des socles collés contre les murs.

-- Scénographie interactives / participatives :

Intégration dans l’espace de zone d’échanges, de moments de partages, de convivialité et de transmission des savoirs.

 

Exposition “Art envie” – 12/09/2003 – 17/10/2003 – Marika Bührmann, Cirrus, Rozenn Nobilet et Pedro Pereira

Un espace qui comprend une zone d’échanges et de création au sol avec des coussins.

Exposition “Risk” – 19/09/2008 – 31/11/2008  – Claire Daudin, Julien Duporté, Estrella Estevez, Aline Morvan et Julien Quentin

Un espace généré par la participation d’élèves et une collaboration entre des étudiants des beaux arts et des artistes.

-- Scénographie immersive, interactive :

Intégration dans l’espace d’une ambiance par une mise en lumière avec un filtre de couleur.

 

Exposition “Habiter” – 20/04/2007 – 31/06/2007 – Lafita Laâbissi

Un espace pour “habiter” à Rennes, un lieu qui à un potentiel de fiction et qui est habité par le public, avec une ambiance froide et de mise en lumière bleue. 

Exposition “Superstars” – 22/09/2006 – 12/11/2006- Trafik

Une installation qui permet de réaliser son propre portrait, avec une ambiance sombre et une mise en lumière rouge ou noir.

-- Scénographie avec un parcours intérieur et extérieur :

Un espace qui est pensé à l’intérieur et l’extérieur, les œuvres se prolongent dedans et dehors.

 

Exposition “Devil’s Island” – 22/05/2009 –  26/07/2009 – Hubert Czerepok

Un dispositif extérieur lumineux qui invite à entrer dans un espace sombre à l’intérieur.

Exposition “La table gronde” – 2015 – Yves Chaudouët 

Un dispositif de grande tablée divisé en 3 parties, pensée à l’intérieur et à l’extérieur.

-- Scénographie avec un parcours multiple :

Un espace blanc avec des œuvres frontales sont accrochés aux murs et aucun élément autre ne diffère le parcours.

 

Exposition “C’est pas grave”  –  23/06/2018 –  26/09/2018 – Vincent Gicquel

Un espace blanc avec des œuvres accrochées sur les murs.

Exposition “Mîme– 26/09/2020 – 30/12/2020  – Mathis Collins & Paul Collins

Un espace blanc avec des œuvres frontales dans 2 salles différentes pour différencier 2 artistes.

-- Scénographie avec un parcours unique :

Intégration dans l’espace de cimaise ou d’éléments de décors qui influencent la direction de l’usager, une seule direction s’impose.

 

Exposition “Palaispopeye” – 07/04/2006 – 04/06/2006 – Alexandre Perigot

Un labyrinthe composé de cimaises rythme l’espace et indique le cheminement de déambulation aux spectateurs.

Exposition “Emmanuelle Villard” – 17/01/2002 – 01/04/2002  – Emmanuelle Villard 

Plusieurs tables sont connectées, elles imposent un sens unique de déambulation.

-- Scénographie avec un parcours libre (déambulation libre) :

Intégration dans l’espace de nombreux éléments et de supports différents. Aucun marquage au sol n’indique un sens de circulation défini, l’usager est donc libre de déambuler où il souhaite.

 

Exposition ”Le plus tôt c’est deux jours mieux” – 21/10/2019 –  17/11/2019 – Seulgi Lee

Un espace avec des objets au sol et sur les murs, un mur entier a été peint en rose pastel.

Exposition “Slow season” – 13/06/2013 – 14/08/2013 – Mahony

Un espace composé de différents volumes et des photographies en noir et blanc.

Le « White Cube » nous réserve encore bien des surprises. Les scénographies n’ont de cesse d’être modifié au fils des expositions pour valoriser les œuvres. Au fur et à mesure des saisons, les visiteurs se trouvent face à des espaces qui changent, qui déstabilisent leurs perceptions. Telle une page blanche qui laisse libre cours à l’imagination de chaque artiste. Ils viennent raconter sur cette page blanche leur histoire en s’appropriant l’espace tel Mathis Collins. Le « White Cube » permettrai-t-il une plus grande liberté d’expression à travers la scénographie ?

Roxane, Mélanie, Irène